Faut-il retirer sa musique des plateformes de streaming ?

musicstreamingservices630C’est la grande question existentielle du moment chez les artistes, qu’il s’agisse de petits indépendants ou de grosses pointures signées chez les majors. Et si cette question remonte à la surface, c’est parce que ce que perçoit un artiste au bout du compte pour le streaming de sa musique sur Deezer, Spotify et assimilés semble ridiculement bas. Euh, non, en fait la réalité est plutôt : honteusement insignifiant. En moyenne, un artiste touche, pour une écoute d’un de ses morceaux sur l’une de ces plateformes, entre 0.003 et 0.007 euro… Et je ne parle pas de YouTube, parce que là, on tombe à 0.0009 euro par écoute ! Mais pour autant, faut-il retirer sa musique de ces plateformes ?

Il y a eu quelques coups d’éclats aux USA ces derniers temps, en particulier vis-à-vis de Spotify. D’abord, il y a quelques mois, Taylor Swift a spectaculairement retiré de Spotify tous ses albums, et réalisé par ailleurs les meilleures ventes qui soient – mais peut-être était-ce simplement dû au coup de pub en question ! Et d’ailleurs pour être exact, elle n’a véritablement retiré sa musique que des services qui ne proposaient pas aux artistes de limiter leur écoute aux offres payantes.

La semaine dernière, les grands noms du music business, de Beyonce à Madonna en passant par Jay-Z et Rihanna ont créé (ou plutôt repris) leur propre plateforme de streaming, Tidal, pour y placer leur musique en exclusivité, y accueillir plus largement d’autres artistes (enfin, c’est ce qui est annoncé), et mieux répartir l’argent, en particulier vers les musiciens (enfin, c’est ce qui est annoncé). Et… ? Les premiers contenus exclusifs proposés par Beyonce ont immédiatement été recopiés par les internautes qui les ont placés sur YouTube… Aah ! Satanée nature humaine !! D’ailleurs, le système n’a pas convaincu Lilly Allen qui a immédiatement argué que “Tidal Will Make Fans Swarm Back to Piracy…”

Par ailleurs, on entend que la vente en téléchargement est désormais en baisse, au profit justement du streaming qui lui, a le vent en poupe. Et s’il est vrai que la part du streaming dans les revenus des artistes augmente, au détriment de celle du téléchargement, c’est surtout par ce que le montant global des ventes baisse. Et ce montant baisse logiquement puisque le téléchargement, qui rapportait à peu près honnêtement, est remplacé par du streaming qui lui ne rapporte quasiment rien.

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Bon. Et alors, on s’en tire comment ?

Alors, pour être tout à fait clair, et au risque d’en décevoir beaucoup, à mon avis, on ne s’en tire tout simplement pas… Enfin, en tous cas, on ne s’en tire pas en restant à réfléchir dans le système. Il faut prendre de la hauteur, sortir de l’équation, envisager d’autres pistes, pour s’en sortir (peut-être…). Bref, je ne crois pas que l’on puisse véritablement faire évoluer les médias type Spotify ou Deezer pour qu’ils augmentent notablement (j’ai bien dit notablement) la part reversée aux artistes. Les habitudes de consommation qui ont été données au public depuis plusieurs années lui font croire que la musique est gratuite et à tout le mieux, vraiment pas chère. Vouloir augmenter la part de l’artiste, dans le système actuel, revient à faire payer le public plus qu’il ne le fait aujourd’hui. Bah oui, parce que bien sûr, il n’est pas question de toucher aux marges, ou d’envisager un système plus économe en intermédiaires, ce serait trop simple… Et ça, vous l’avez compris, conduira uniquement à renforcer le retour vers le piratage. Enfin, je veux dire le piratage interdit, pas le piratage légal des plateformes officielles.

Et donc ?

Et donc, une seule chose est claire, la vente en ligne de votre musique vous rapportera de moins en moins en termes d’argent. C’est sûr et certain.

Et donc, la solution n’est pas à chercher dans la vente en ligne. Le streaming ne doit être envisagé que comme une source d’exposition, pour attirer le public vers d’autres envies de consommation de la musique :

  • en concert – les tournées constituent aujourd’hui l’une des plus larges parts de revenus des musiciens, et de plus c’est l’occasion d’y vendre des albums physiques quasiment sans intermédiaires,
  • sur des produits à forte valeur ajoutée – comme les vinyles qui reviennent en grâce ces temps-ci, car le bel objet a encore de l’avenir,
  • sur le montage de résidences, de master class – pour proposer un accès privilégié du public à la musique et aux musiciens
  • sur la vente de produits dérivés – mais là, s’il vous plait, sans y perdre votre âme !
  • etc.

Il faut se concentrer sur votre public – et pas sur le monde entier. Il faut lui donner envie. Il faut redonner de la valeur à la musique et plus généralement à l’œuvre, redonner le goût des belles choses. Après s’être précipité sur l’avancée technologique et la facilité que procure le numérique, une frange grandissante des auditeurs se rend compte de ce qu’elle a perdu dans cette mutation vers le tout-consommation, et est prête à revenir au côté artistique de la musique et de ce qui l’entoure. Je vous invite au passage à relire l’article que nous avions publié il y a quelques années sur le piratage du jazz caribéen. Il reste toujours d’actualité… Remplacez juste piratage par streaming.

Au bout du compte, retirer sa musique des plateformes de streaming n’est pas nécessairement un bon calcul et n’aura que peu d’influence sur vos revenus de vente de musique. Surtout si vous êtes déjà un « gros » vendeur par ailleurs. Cf. les récents chiffres publiés par les uns et les autres sur Facebook. Pour un petit artiste indépendant, vous pouvez peut-être faire le calcul que sans streaming, votre proportion d’albums téléchargés pourrait sensiblement augmenter, mais en contrepartie votre exposition publique sera fortement affectée. Dans tous les cas, cela ne sauvera pas votre carrière ! Mais surtout, il est important de mener la bataille ailleurs, car ce n’est certainement pas là qu’au final, elle se gagnera.

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