[Abracadabra in jazz] Henri se retire de la scène musicale avec un album intitulé “Révérence”

Il faut savoir partir : Monsieur Henri nous dit adieu avec l’élégance musicale qui convient à sa carrière dont le parcours est Paris/Brésil/USA. Pour un guyanais teinté de guadeloupéen, il sort du lot grâce à une qualité majeure pour un artiste : la flexibilité joviale, qui est le divin « masko ».

Clown génial à l’égal de Louis Armstrong ou Cab Calloway, il a toujours donné sur scène une couleur saltimbanque à sa prestation, qui tient du bois et du sable. Une certaine pudeur insolente !

Homme du rire, au service de notre rire, qui se déclenche par instinct de communication conviviale, Henri Salvador s’est toujours prêté avec humilité à cet état ou exercice qui nous permettait de le suivre avec un sentiment de complicité douteuse à son endroit, devinant sa ruse.

Chanteur pour qui la voix est une clef de Sésame vers notre cœur et pour notre plaisir, il se range dans les jardins d’hiver de Frank Sinatra et de Nat King Cole.

Modeste, il se laisse dire avec humour que la bossa nova vient de l’écoute par Antonio Carlos Jobim de sa chanson « dans mon île ». Et là on comprend mieux la corde brésilienne via Cayenne, de son arc musical.

Troubadour de charme, de sucre, comme tous les plus fameux chanteurs latino-américains, il distille le miel qui ravit les femmes et encore plus quand il se fait jazz ou blues comme les plus grands des showmen afro-américains. Un monument au centre de ce triangle d’or musical Brésil/Paris/New-York qui s’impose aux oreilles.

Avec humour son, peut-être, ultime album s’intitule « Révérence » de quoi la tirer en douce, au son de son rire désopilant et hilarant nous laissant désarmé. Enregistré à Rio par une bande de musiciens brésiliens sous la direction musicale du fameux et superbe arrangeur Jaques Morelembaum, violoncelliste hors-pair, c’est un voyage puisant dans sa riche vie musicale : une sorte de cocktail plein de couleurs où tous les jalons de son parcours du triangle sont en place. Une œuvre testament pour un homme pour qui le plaisir de vivre est dans le plaisir de jouer et de chanter.

Caraïbe par sa mère, il est en fait un amérindien, dont l’âme se laisse deviner parfois dans la douceur de ses chants nostalgiques d’un bonheur perdu ou disparu. C’est souvent une confession douce-amère effacée avec pudeur par un rire rabelaisien ou un rictus de gène timide. Souvent aussi une tristesse suintant le malheur asséné à cette Amérique dépecée et morcelée, ici aux Antilles, en Guyane et surtout au Brésil .Il transcendera son infortune ontologique par le charme conquérant de son talent dans les années 40 avec Ray Ventura en visite au Brésil réduisant à néant toute considération agressive. Des classes faites et réussies en face d’un public peu sensible à l’époque aux prestations d’un artiste de couleur. A Rio, oui, ce qui pourrait sembler étonnant, mais il en relève de notre ignorance d’un Brésil très affecté par les problèmes de couleur en fait des versions sociales non résolues encore à ce jour.

Pour cet ultime album il fait appel à deux vaillants chanteurs brésiliens, Caetano Veloso et Gilberto Gil ; il nous offre deux pierres précieuses avec ces rebelles aujourd’hui reconnus et honorés par cette société en formation du régime de Lula attaché à l’émergence du Tout Brésil. Lula le décorera de l’ordre du mérite brésilien en 2005.

C’est une touche sensible de notre crooner qui sans en avoir l’air nous fait voir l’essentiel se cachant sous le masque de ce que nous désignons arbitrairement sous l’appellation : musique de variété. Il faudra bien un jour décrypter les messages cachés et subtils de tous ces chanteurs ou plutôt griots du monde musical afro-américains. Là vivent et s’expriment ces poètes qui disent fort et bien ce monde ignoré et méprisé, héritage de la conquête coloniale. Pas un seul pays américain qui n’ait eu son âme détruite par une culture européenne dominante, fascisante et se voulant fascinante.

Henri et bien d’autres, des milliers, pourvoient à ce que ces cultures à travers leurs expressions musicales se fassent entendre et témoignent suavement ou violemment du génocide culturel. De par l’histoire que nous partageons et qui nous a fragmentés en nous teintant d’un occidentalisme généreux qui nous donne aussi curieusement l’épée pour ouvrir le crane et y mettre en retour l’essentiel de l’humain : la considération de l’autre.

Monsieur Salvador en se voulant brésilien chasse tous ces miasmes dégradants de nos esprits et de nos cœurs car en se découvrant ainsi il offre à tous la joie et le plaisir. Conquérir le conquérant et l’élever c’est là le plaisir suprême du conquis (Les armes de conquête étant inégales).

Et puis aux chagrins qui le trouveraient trop français, pas assez américain, un peu trop brésilien et pas du tout antillais, on pourrait répondre qu’il n’a fait que suivre les principes du manifeste culturel cannibale décliné en 1924 par le brésilien Oswaldo de Andrade, préconisant de dévorer tout ce qui est autre afin de faire naître un soi-même original. C’est tout le Brésil. Philosophie qui donnera le tropicalisme porté haut et fort contre la dictature militaire par Caetano Veloso et Gilberto Gil dans les années 70 et qui amènera par une action culturelle de conscience toute une génération de jeunes artistes à occuper les lieux de communication et à permettre l’arrivée au pouvoir de Lula ,le vrai Brésil ,quoi, dont Gilberto Gil est le ministre de la culture.

Salvador a quelque part procédé de la sorte de par sa guyanité, absorbant tout dans le triangle et en rendant un autre tout à nous tous et se déclarant sud-américain.

Merci Henri, à bientôt.


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