[Abracadabra in jazz] Un nouveau son datant de 1961

blake-leeCe qui est remarquable avec le jazz, c’est sa verdeur, qui se joue du temps, en un mot son intemporalité. Hier, aujourd’hui, demain, et alors, ce qui compte et pas pour du beurre, c’est l’expression et la créativité dans la praxis. Musique existentialiste s’il en est, qui se moque du convenable ou du convenu. Une constante remise en question de la forme et du fond ; le spectre est si large que le fan de jazz a du mal à suivre la richesse et la diversité des propositions d’autant plus que sorti du cadre purement afro-américain le jazz est maintenant universel.

C’est son esthétique et son éthique qui s’imposent en une symbiose décapante du fait de son tout-monde, comme dirait Edouard Glissant.

Un exemple entre autres, et il y en a à l’infini, ce couple musical atypique de Jeanne Lee, chanteuse free et de Ran Blake, pianiste d’essence classique, formé en cet hiver 1961 à New York City, composant un album intitulé « The newest sound around ». Ce bijou qui brise les paradigmes éculés du moment a du mal à s’imposer et seuls quelques curieux de par le monde reconnaissent une œuvre rare, dense et transcendante.

Ran Blake qui de son poste de Chairman du Third Stream Department du New England Conservatory, est un familier des musiques d’avant-garde, genre Stockhausen ou John Cage, aussi bien que du blues, des gospels et du jazz, va se mettre à nu sur cette expérience hors du commun. Sont siennes des expériences multiples d’expressions musicales dont entre autres celles de la pure liberté d’improvisation sur des films de Chabrol ou de Marguerite Duras, dont il assure la partie pianistique, comme on le faisait au début du siècle sur les films muets. On le voit ce mec c’est pas de la tarte. Homme de toutes les rencontres ! Mélange des genres et audace tous azimuts dans ses impro-solis, où sur un thème connu, il fait arriver Ravel, du jazz, et se permet une touche mineure chinoise laissant notre esprit vagabonder sur le son du monde. Ici comme accompagnateur mais plutôt comme intelligence supérieure de raffinement harmonique il se lie et se met en communion avec Jeanne Lee.

Un timbre, un son placé très bas, une voix pleine de douceur et de sensualité telles sont les atouts de cette chanteuse dont l’attirance pour des musiques nouvelles dites free est indéniable, mais renvoyant immanquablement aux grandes du blues, toujours les nécessaires maternelles qui pansaient les affres du ghetto pour des paumés de la vie, telles Bessie Smith ou Ma Rainey. Hier, aujourd’hui et demain, tel est le spectre du chant Lee.

Respectueux tous deux des traditions mais étourdis par les éclairs musicaux fugaces et perçants du moment, enivrés par les parfums sonores de ces années 1960 où l’imagination, la révolte se devinent dans les temps à venir. Les Etats-Unis sont en ébullition et la société va dire autre chose sur elle-même, ainsi alors cet autre discours qui sortira de la collaboration de ces deux artistes. Un masculin plus un féminin, un blanc plus une noire, le froid des accords glacés et la chaleur de la voix, le monophonique et le polyphonique. La différence et l’ensemble ! Tout en un seul !

Une rencontre extraordinaire au sens littéral du terme qui, sur des standards connus, donne une vision nouvelle, extrayant de ces matériaux des beautés auxquelles nous étions sourds et aveugles, en 1961.Toujours et constamment étrangers au nouveau paradigme .Quelle douleur muette est celle des créateurs !

En 1979, dix-huit ans après, soit une génération, une nouvelle sortie de ce disque mettra en lumière le génie de ces deux interprètes. Enfin !

Jeanne Lee with Ran Blake at the piano: The newest sound around BMG 74321221122.


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