[Abracadabra in jazz] Miles Davis et un certain blues du blanc

Dès son très jeune age à St Louis, Miles a dû se rendre compte de l’injustice première faite aux afro-américains qui consistait à être vu comme un paria. Sa famille, qui connaissait depuis des lustres ce regard des autres mêlé de mépris et d’arrogance, lui a fourni la carapace nécessaire de l’indifférence suprême pour ne pas succomber au meurtre distillé à chaque instant par cette population blanche, elle-même totalement socialement aliénée (lire tout William Faulkner et l’essai d’Edouard Glissant « Faulkner Mississipi »).

Grâce à ces antidotes sécrétés pour résister à la destruction, Miles, comme beaucoup d’entre nous qui ont été confronté à cette horreur, saura opposer ce souverain mépris envers cette adversité. Fier d’être et l’exprimant chaque jour. On conviendra que la culture du jazz lui sera comme un champ d’opérations, tournant le dos à toute attitude de compromis qui serait d’être l’autre en se refusant à être soi.

Curieusement Miles, lors de son passage à Paris, branché par Juliette Gréco, comprendra la philosophie de résistance sociale du moment, l’existentialisme qui lui ira comme un gant de velours.

Armé, blindé, totalement Miles, toujours en avant, totalement voué à la mise en place de l’expression de sa seule vision du jazz ; pas celle de papa présentée par d’autres oncles Tom, toujours soucieux de l’autre ; au contraire portant sur les hommes et les choses un regard altier, celui d’un homme totalement libre.

Miles, c’est Oswaldo de Andrade expliqué dans le texte et vécu dans le sang. Le pur et noble cannibalisme ou le dit sauvage agit en sauvage envers ceux qui le traitent comme tel. Manger l’autre tel qu’il est, quel bonheur ! Certains indiens d’Amazonie engraissaient leur prisonnier et puis un beau jour le dégustait par amour.

Le jazz pour Miles est cet instrument de culture qui permet de ramener l’autre à soi. Comment
alors peut-on comprendre autrement cette incessante quête du ravissement de détruire et reconstruire ces savantes et fascinantes mélodies dites standards dont se délecte Miles à l’égal d’un ogre ? Ecoutons le quintet avec Wayne, Tony, Ron et Herbie tous déchirant à qui mieux mieux un discours idéaliste bidon du genre « chérie je t’aime, chérie je t’adore » fait pour midinette frustrée à vie et vivant à des années lumières du sel du ghetto où le tragique est miel. I fall in love too easily, my funny valentine et d’autres encore où le monde est toujours si beau et si gentil ; version dictée par ceux ou cette société anglo-saxonne qui fait naître à plaisir les sinistres ghetto sans remords aucun.

Alors il sera dit enfin ce qu’est vraiment « Once upon a summertime », « When i fall in love », « Yesterdays », « Embraceable you » selon les canons de votre cruel monde avec ses modes, où pourront se glisser, de temps à autre – c’est là la sublime inspiration -, des moments de pure grâce, des moments divins qui nous renverrons au monde idéal prêché mais jamais traduit en réel.

Miles est passé maître en ce discours déstabilisant, et l’écoute attentive de ces sublimes pièces nous fait plonger au cœur de leur vérité tragi-comique exposée impudiquement ventre nue au plaisir de tous.

Philosophie de l’existence toujours prônée, toujours vécue, toujours démontrée, toujours martelée au-delà du plaisir de la vivre.

Si vous voulez goûter Miles, il faut le boire jusqu’à la lie sans alka-seltzer. Comprendre et aimer que sa vision musicale soit dérision, révolte élégante et suave. Alcool qui n’est pas sans gueule de bois. Le tragique distillé dans la jouissance.

Miles est le plus dionysien des trompettistes. Une beauté musicale déchirante et éclatante. Comment résister au délire de « So what », de Milestones entre autres

« So what » traduction de « Kips » cette mimique sonore très antillaise pas trop loin de « Eh, alors ? » peut expliquer ce Miles du dédain et de la distance.

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