[Abracadabra in jazz] Henri Salvador, musicien afro-américain

Voila un jeune homme issu des Antilles comme on dit, arrivant en métropole dans les années 20 et qui va ingénument se plonger dans la dimension afro-américaine plus connue sous le nom assez sauvage de jazz. Attraction immédiate pour la pulsion et le discours d’improvisation dont il va rapidement comprendre la richesse et l’originalité, bercé qu’il a été par la musique de son milieu. Tout d’abord premier exercice au sein de l’orchestre de Ray Ventura où il sera l’homme à tout faire musicalement et remplira au-delà de l’espérance le rôle éminent du chanteur de big band.

Choix bien malgré lui mais suffisamment opportuniste et intelligent pour satisfaire à la quête et à la requête de l’homme swing que demande le public. Il est de couleur et bien dans sa peau, sans complexe ; il devient l’homme de la situation. La société métropolitaine souhaite un homme de couleur comme artiste musical un peu coloré mais pas trop, et prêt à jouer le rôle de l’exotique sympa. Henri saura jouer de cette ambiguïté désirée par l’autre qui a tout le pouvoir dans le show business où il veut se faire un nom. Une autre qualité émérite de cet atypique est qu’il est plastique, flexible et curieux et qu’il sait reconnaître très vite les vraies valeurs artistiques, les siennes tout d’abord, mais celles du milieu métropolitain qu’il fréquente, bien avant ce milieu. Ainsi que ce soit par exemple avec Django ou avec Boris Vian, il est le complice et le partenaire. Il saura que Paris ou la province veulent d’un Nat King Cole ou d’un Sinatra mais pas trop américain. Il faut franciser cette aspiration et cela Henri saura le faire avec talent au-delà du nécessaire. Il saura donner à l’autre ce qu’il attend, un créole, une douceur, une séduction toute naïve et même un peu “ya bon banania” mais “thongue in cheek”.

Pour ses frères musicaux d’Amérique du Nord, il sera le West Indian qui comme Sonny Rollins ou Belafonte contribue à la richesse de l’arbre musical afro-américain et saura avec eux communiquer dans le swing et l’improvisation. Brothers always !

Il saura moins convaincre le monde du jazz français de sa valeur jazzistique car ils ont des préjugés de par leur courte vue, où ils ne voient du jazz que la dimension nord-américaine aux dépens des autres dimensions aussi culturellement fortes que la caraïbe et la sud-américaine. De cette cécité totale du milieu musical métropolitain, Henri va profiter au maximum, exploiter le filon, occuper la place et pondre des compositions à haute dose exotique et pleines de charme, qui seront catégorisées “variété”. Extraordinairement, il sera paradoxalement même reconnu aux yeux des brésiliens comme l’initiateur de la bossa-nova. En fait Henri n’aura fait que traduire sur une rythmique langoureuse ces fines mélodies qui ont bercé son enfance comme celles de tous les enfants du monde tropical américain ajoutant un brin de nostalgie, soit du saudade, à une de ses compositions “Dans mon île”. Point déclaré par Antonio Carlos Jobim.

Du monde du jazz, il apportera à la chanson française le swing dont elle avait terriblement besoin et l’humour décapant qui lui manquait. Il la fera être sensible à la chose américaine et introduira le crooner ou roucouleur et le chanteur de charme. De la part du milieu musical tout public confondu on sera passé à côté d’un génie musical à cause de préjugés à la con. Henri aura même le culot de se moquer des autres en se moquant de lui-même. Suprème gymnastique du clown. Nous-mêmes, antillais aliénés que nous sommes par les vues étroites et bornées de la mère patrie sur la musique afro-américaine, nous n’avons rien vu sauf certains qui eux vivant au cœur de la bête savaient que les jugements de valeur musicale étaient entachés d’a priori absurdes et non-objectifs et de préjugés racistes.

Avons-nous ici et même là-bas été convaincu de la valeur particulière de ce grand musicien ? Rien n’est moins sûr et il a fallu la soudaine découverte par le monde musical parisien de la dimension d’Henri avec son dernier album ” Chambre avec vue ” pour que nous montions dans le train de la célébrité comme des moutons de Panurge sans nous poser de questions sur notre bévue.

Pour les lucides, et ce n’est pas d’hier, nous voyions en lui un passeur qui a abattu les frontières entre les genres musicaux verticalement et horizontalement, qui même dans le royaume de la musique afro-américaine (elle-même née de la réaction aux préjugés) existent et détruisent beaucoup de vrais talents qui ont du mal à se faire reconnaître car novateurs.

Pour Henri la Caraïbe, le Brésil, les Etats-Unis c’est même bitin même bagaye. Même culture métisse aux confluents de l’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique.

Henri c’est de la religion Yoruba EXU ou Elegba.

Il le sait et il ne le sait pas. Superbe. Il le vit.

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