Retour sur le Festival IlôJazz édition 2009

Image00026Traditionnellement depuis treize ans maintenant, l’année musicale finit en jazz en Guadeloupe. Cette année, profitant de la nouvelle communauté de communes créée entre Pointe-à-Pitre et Abymes, Cap Excellence, le festival est devenu IlôJazz et s’est décentralisé sur plusieurs scènes. Il y eut d’abord le campus de Fouillole, animé le temps d’un après-midi de Jazz à l’Université par Jean-Pierre Cari, D. Kwest & Nathalie Jeanlys et Dé Senk Yon. A la salle Georges Tarer, on projeta le film documentaire d’Alexandre Lourié, « Alain la Parole », consacré au parrain du festival, Alain Jean-Marie. Le festival s’entoura également de master class (mais comment cela s’écrit-il donc au pluriel…?) dispensées par quelques unes des pointures du programme « In » : Magic Malik, Mokhtar Samba, Dave Valentin, Alain Jean-Marie… Quant aux grandes scènes, elles eurent lieu du 11 au 13 décembre, devant Sonis, au bourg des Abymes et finalement sur la place de la Victoire.

Alchimik'SC’est le trio Alchimik’s qui a eu la lourde charge d’ouvrir le bal devant le Centre Culturel Sonis en ce Vendredi 11 décembre. Souvenez-vous, il y a quelques temps, ils entraient en studio et le Bananier bleu s’en faisait l’écho. Le disque est encore tout chaud et sera réellement disponible très prochainement, mais déjà, Raymond d’Huy (b), Jean-Michel Lesdel (pno) et Raymond Grégo (dms) présentent leur répertoire. Le groupe se veut un trio à égalité, et chacun compose donc, apporte ses arrangements, pour que l’alchimie prenne. Au total, la qualité des musiciens sert parfaitement un jazz caribéen multiforme, toujours groove – qu’il s’appuie sur les rythmes du ka, la biguine, le zouk ou le swing. On a ainsi retrouvé avec bonheur le son reconnaissable et la virtuosité de Raymond d’Huy aussi bien sur de nouvelles compositions (Carpe Diem) que d’anciens « tubes » toujours actuels (Exotic Girl). Au piano ou au Rhodes, Jean-Michel Lesdel est un pianiste toujours mélodique – cela vient vraisemblablement de sa formation également classique – qui du coup distille un jazz toujours aisé à s’approprier. Enfin, Raymond Grégo est de ces batteurs à l’expérience immense, trop rare sur disque – encore que 2009 est une bonne année puisqu’il apparaît également sur le nouvel album d’Alain Jean-Marie – capable de tenir d’une main ferme et précise (ou plutôt des deux mains et du pied d’ailleurs) la diversité et la complexité des rythmes métissés du jazz et des Caraïbes. Bref, une entrée en matière de belle qualité, et dont le répertoire illustre à merveille le « Carrefour des musiques créoles » voulu par le festival.

Malik MezzadriOn n’est pas tous d’accord là-dessus, mais je suis de ceux qui trouvent tout de même que l’on aurait pu avoir un peu plus de monde pour ce concert. L’heure trop précoce peut-être ? Le lieu pas habituel ? L’impression s’estompe peu à peu cependant, et le Magic Malik Orchestra monte sur scène devant une assistance plus fournie. Ils sont quatre – seulement, serait-on tenté d’ajouter – avec Malik, dont c’est donc le deuxième retour au pays de son enfance après les concerts de 2004. Depuis cinq ans, sa musique a évolué, a muri, et devient véritablement passionnante. Le répertoire de ce soir repose sur « Saoule », sorti en 2008, et « Bingo », nouveau né d’à peine une semaine, enregistré au Sunset en début d’année. Depuis deux ans, Malik essaie de se recentrer sur l’Orchestra, prenant de la distance avec ses collaborations internationales – pas toujours facile de se défaire d’engagements souvent prestigieux, mais terriblement chronophages – et a également changé ses musiciens – sauf l’excellent Maxime Zampieri, batteur exceptionnel, immergé dans le même monde que Malik avec lequel il communique même pas à demi, mais plutôt à quart de mot ! L’Orchestra est complété par Jean-Luc Lehr (b) et Josef Dumoulin (pno). Je ne suis pas loin de penser que ce dernier est fou – et c’est probablement exactement ce que lui demande Malik – et je suggère donc hautement d’aller se renseigner plus avant en allant chercher le premier album qu’il vient de publier sous son nom : commentaires externes bienvenus ! J’aurais du mal à reconnaître les morceaux joués ce soir, sauf un auquel je suis complètement accro depuis que je l’ai entendu en 2004, alors fraichement composé, « Caraïbes » – à retrouver sur « Saoule » – mais je sais que je n’ai pas été le seul à me laisser porter par l’univers proposé par le MMO, toujours un voyage extraordinaire.

Aziz Sahmaoui & Mokhtar SambaDepuis que j’avais acheté l’album Dounia en 2006, je ne me désespérais que d’une chose, ne pas avoir encore eu l’occasion d’écouter Mokhtar Samba nous le refaire en concert. Tout simplement parce que cet album est superbe, tant par la diversité, la finesse, les atmosphères, cette Afrique en miniature – ah bah tiens, ça c’est le Cameroun d’habitude… – bref… vous avez compris. Donc l’occasion était à ne surtout pas manquer. Mokhtar s’est déplacé en nombre, avec Pierre-Olivier Govin (cela nous fait donc deux ex-Ultramarine, là), Henri Dorina (b), Roger Carocci (perc), Nenad Gajin (g), Marc Sahmaoui (perc), et Toumani Diakité (vcls). J’allais oublier un p’ti gars qu’on aime bien par chez nous, un pianiste qui monte, dont c’était le premier gig avec Mokhtar, un certain Jonathan Jurion. « C’était pas terrible, hein ? » me demande t-il après… jamais sûr de lui… s’il savait… Et bien si, c’était terrible, mon gars. Je vais avoir du mal à vous décrire le concert parce que les mots ne me viennent pas. Mais je peux vous dire qu’il n’a pas fallu un quart d’heure avant que tout le monde danse devant la scène, que Nenad Gajin est un guitariste phénomène qui sait tout jouer de la guitare africaine au rock en passant par le swing, que Toumani Diakité a une voix renversante, et que quand Aziz Sahmaoui (Orchestre National de Barbès, Ifrikiya, Zawinul Syndicate…) chante en s’accompagnant de son n’goni, c’est tout simplement le feu ! A quand la suite ? Mokhtar travaille au prochain album. Patience… enfin, ça va être dur quand même.

Tricia EvyLa soirée du Samedi 12 s’est trouvée fondue dans la fête annuelle des Abymes. Le « pour », c’est que du coup le public était nombreux, le « contre » c’est que ce public n’était pas nécessairement là pour écouter du jazz – ce qui n’est pas un reproche, loin s’en faut, mais on ne peut non plus imposer n’importe quoi à n’importe qui, c’est normal – et que le programme était en conséquence raccourci. La première partie du concert était assurée par la jeune chanteuse guadeloupéenne Tricia Evy. Mais honnêtement, qui en Guadeloupe connaissait jusque-là son existence ? Pas grand monde probablement, et il faut espérer que cela aura fait changer les choses. Tricia vit et se produit essentiellement à Paris. Le plus étonnant, c’est que cela fait à peine deux ans qu’elle apparaît dans le circuit professionnel ! Accompagnée de Xavier Richardeau (sax – traditionnel accompagnateur de David Fackeure, donc familier de la biguine antillaise) et Jean-Philippe Bordier (g – excellent – beau son, délicatesse du jeu), elle chante les standards, pas forcément standards d’ailleurs – clin d’œil à Brassens – , des Antilles et du jazz – qui aujourd’hui penserait à chanter « Petite fleur » ? De sa voix chaude, elle a charmé l’auditoire et aura forcément des choses intéressantes à dire dans le jazz dans les années qui viennent.

Fal Frett : Jacky BernardLa deuxième moitié de la soirée était assurée par Fal Frett, le grand groupe martiniquais qui ne s’était plus produit en Guadeloupe depuis quelques années. Plus d’une heure de groove, animé par les frères Bernard – Alex et Jacky étaient là – accompagnés de Guillaume – la génération suivante. Tony Chasseur avait un temps délaissé son Mizikopeyi Big Band pour venir chanter avec le groupe. Scat, jazz, swing, le jazz caribéen à l’honneur. Compagnon fidèle du groupe de puis longtemps, Luther François, toujours discret mais efficace, faisait partie du casting, ainsi que Micky Télèphe aux percussions. Puis Jacky Bernard invitait la chanteuse et danseuse Renée Capitaine à partager la scène pour un bélè puissant et gracieux à la fois. Un nouveau disque de Fal Frett est en préparation, avec en toile de fond, et toujours d’actualité, les inquiétudes des musiciens sur l’avenir d’un domaine en pleine mutation dans la nouvelle économie numérique de la musique. Plus que jamais la qualité, le dynamisme et l’inventivité des artistes seront le moteur de leur réussite.

Alain Jean-MarieAprès le programme libre de Vendredi, le programme court de Samedi, Dimanche était consacré au programme long. Du lourd même… Sur la grande scène de la place de la Victoire se sont succédés Alain Jean-Marie, Dave Valentin et Roy Ayers. Rien que ça… Et d’abord Gwadarama. Petit rappel, en début d’année, Alain Jean-Marie sortait cet album en quartet, ajoutant à son trio caribéen, le ka et les percussions de Roger Raspail. Le concept consistait à revisiter les rythmes guadeloupéens, de la biguine au ka en passant par le zouk et le jazz caribéen. C’est l’occasion de retrouver Mano Falla à la basse – Souvenez-vous : Horizon, Happy Lewis 5tet, Balkouta – et Raymond Grégo à la batterie – Discographie riche cette année, donc. En tant que parrain du festival, Alain Jean-Marie c’est même fendu d’un petit discours sur la grande scène, se rappelant ses souvenirs de la place de la Victoire en culotte courte, il y a fort fort longtemps ! Côté musique, le public a apprécié un répertoire riche et varié, où les harmonies du piano et les percussions étaient particulièrement bien mariées. Encore mieux mises en valeur que sur le disque, vérité du concert oblige. Concert événement donc pour un pianiste encore trop rare en Guadeloupe. Du coup, on a vu André Condouant, Gaby Moustache, entre autres, venus saluer discrètement leur ami en coulisse. A noter, sur le versant straight jazz de sa carrière, Alain Jean-Marie vient de publier, en duo avec le contrebassiste Pierre Boussaguet un disque autour de Duke Ellington, et appelé fort judicieusement « Still Dukish ».

Dave ValentinIlôJazz 2009 est également une année de flutistes, qui après Magic Malik devant Sonis, voit Dave Valentin se produire sur la place de la Victoire. C’est donc une référence du soft-latin-jazz (vous avez mieux ?) qui arrive en quartet, avec un show huilé à l’extrême – voir toutes les mimiques de Dave, caché sous la visière de sa casquette. Pas de doute ça tourne, et ce n’est pas la pluie qui les arrête… Même quand on est obligé de bâcher en entier le piano sur la scène tandis que Roger Ameen doit jouer sous un parapluie !! Chapeau ! Dans un esprit qui ne se dément pas avec les années – allez chercher le Live at the Blue Note, de 1995, pour une bonne approche de ce concert – on a eu droit à une revue de détail du Latin Jazz qui vous fait bouger les pieds, du meilleur effet !

Il n’y avait pas de feu d’artifice prévu sur la Darse cette année pour clôturer le festival. Il eut donc lieu sur scène, avec le concert du très grand Roy Ayers… Pour mesurer l’exploit, rien de plus simple : pour un Dimanche soir à 23h00, il restait encore près de deux mille personnes en train de danser sur la place de la Victoire. Et cela le valait bien. Pilier du jazz funk depuis les années 70, Roy Ayers a tout tenté, du moment qu’il s’agit de musique qui fait bouger. Le résultat est qu’il est également l’un des artistes les plus samplés de la planète aujourd’hui. Calé derrière son vibraphone, il organise tout, chante et joue avec un vrai plaisir. Pop, funk, soul, jazz et Afro-beat – souvenez vous de Music for Many Colors avec Fela – tout est passé en revue, épaulé par des musiciens de talent : Raedford Gaskins, multi-instrumentiste – surtout saxophoniste – et showman qui finit couché sur la scène, John Pressley, chanteur, Monsieur Loyal – qui descend vendre les disques dans la foule – ou encore le jeune Troy Miller derrière sa batterie… Premier rappel – tard donc ! – et le plus extraordinaire est que Roy Ayers lui-même, alors qu’il s’apprête enfin à descendre de scène, fait demi-tour et décide unilatéralement d’en remettre une couche, juste pour le plaisir, et surtout parce qu’il se sent bien sur scène ! Excellent et jubilatoire. Au total un Festival IlôJazz festif et très réussi, surtout quand on sait dans quelles conditions d’urgence l’ensemble fut bouclé ! On attend avec impatience l’édition 2010…Roy Ayers

Plus d’informations sur tout ce beau monde…

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