Le Caraïbe Club

Vouloir dissocier jazz et biguine aux Antilles serait à la fois impossible et déplacé, tant ces musiques sont ici historiquement mêlées. Après un coffret dédié aux plus belles biguines des Antilles, quelques-uns parmi les plus talentueux des musiciens antillais actuels présentent un nouvel opus “Manman Kréol”, qui allie quelques reprises traditionnelles à des compositions personnelles modernes. C’est ainsi qu’est né Le Caraïbe Club. Le Bananier Bleu a rencontré Pipo Gertrude, Sonia Pinel-Féréol et Dominique Bérose, et sur fond de la musique qui défile, ils nous présentent cette nouvelle facette de la musique antillaise actuelle.


(En fond sonore “Mesi bondieu” chanté a capella par Pipo Gertrude.)

Le Bananier bleu : C’est toi qui fais toutes les voix ?

Pipo Gertrude : Oui, avec l’aide de Sonia […]. Je voulais l’enrichir davantage, mais on était “short”.

Bb : Combien de temps pour ce morceau ?

P.G : Celui-là, une heure.

Bb : Et l’album ?

P.G : L’album, deux jours.

On entend à présent une composition de Dominique Bérose, “Rue du Faubourg du Temple”. Piano seul. Quelques notes détachées s’égrènent presque mélancoliquement.

Bb : Que s’est-il passé rue Faubourg du Temple à Paris ? (rires)

P.G : Il a eu une vision du Père Noël. (rires)

Dominique Bérose : Je venais d’avoir un piano acoustique que je louais, et puis j’ai composé ça. Cela correspond à une tranche de ma vie où j’habitais dans ce quartier à Paris, d’où le nom. Je n’ai jamais pu continuer ce morceau, je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. La suite en fait est venue plus tard, à Ivry.

Bb : Y a-t-il d’autres compositions originales dans l’album ?

D.B : Oui, deux compositions de Philippe, et une de Sonia.

Bb : Pour ce projet, il y avait une ligne directrice, un cadre défini ? Ou bien, vous pouviez mettre tout ce que vous aviez en stock.

D.B : Non, cela a été très ouvert. Nous avons pris le parti de faire quelque chose de simple, d’épurer le propos pour lui donner une couleur plus actuelle. Cela nous a permis de nous pousser individuellement […] Il fallait préparer les compositions […] C’est pour nous en tout cas une sorte de carte de visite. Une façon de dire : tiens, voici ce que l’on peut faire aujourd’hui avec la musique traditionnelle.

La dimension caraïbe vient du choix des titres. “Mathilda” et “Day’s O” sont deux titres susceptibles d’être écoutés dans les îles anglaises. “Mèsi bondié” lui se rapproche davantage du public de la communauté haïtienne. C’est un disque à écouter, mais sur lequel on peut danser aussi.

Bb : Au plan musical, avez-vous gardé des formes traditionnelles ?

D.B : Non, avec Franck [Riahi. Ndlr] on s’est senti complètement libre. Pas de répétitions. On ne s’est même pas appelé. Il avait prévu quatre jours, finalement, on l’a fait en deux jours, mixage compris. Il y a des morceaux que nous avons réalisés en une seule prise. C’est allé vite parce qu’on se connaît déjà très bien.

Bb : Comment va se passer la promotion ?

D.B : On va démarrer ici. Et puis bien sur Paris : le Bataclan, BB Antilles, l’Olympia. On va se battre pour être au MIDEM…

Bb : Beau programme ! !

D.B : Tu sais, avec le coffret de biguine, on a de quoi faire !

P.G : De toute façon, les gens en ont marre du zouk. C’est vrai, le zouk n’arrive pas à franchir les barrières. Alors que la biguine, elle, elle est au Japon ! Par l’intermédiaire de Stellio ! Quand on y est allé [avec Malavoi. Ndlr], les gars nous ont montré des disques qu’ils ont remasterisés, datant de 1927 !

D’autre part, en France, le commun des mortels ne connaît pas la biguine. Ce qu’ils ont en tête, c’est la Compagnie Créole, or la Compagnie Créole n’est pas la biguine.

Bb : Ce qui est intéressant dans ce concept, c’est qu’une génération (peut-être celle de nos parents) va se reconnaître dans les thèmes joués, alors qu’une autre (la nôtre) ayant forcément une plus grande culture de l’écoute, se retrouvera dans une façon plus actuelle (les accords, les phrasés) de jouer cette musique.

D.B : Oui, absolument.

P.G : Mais avant la biguine n’était pas jazz !

D.B : Oui, mais elle l’a été à l’époque de Marius Cultier, à l’époque de Paulo Rosine, et puis avec Alain Jean-Marie. À l’époque d’Emilien Antile, les mecs jouaient be-bop dessus !

Ce que je veux dire, c’est que je préfère mille fois aller aux U.S.A et faire sonner des pêches bien syncopées (il le fait avec la bouche), et que les mecs te disent : attends, tu joues quoi là ? Et là, tu dis : ça, c’est moi. Alors que si tu viens jouer du swing… Le swing, ils connaissent déjà.

Bon, on n’a pas inventé le fil à couper le beurre. On s’est simplement dit qu’il y a un truc qui n’est pas exploité, et dont il faut se servir : notre patrimoine.

Alain Joséphine, Marc Chillet, Christophe Jenny

Le Caraïbe Club : « Manman Kréol »


Année : 2002
Label / Référence : (PFR 038)
Personnel : Pipo Gertrude (vcl) - Sonia Pinel-Féréol (vcl) - Philippe d'Huy (g) - Dominique Bérose (pno) - Frédéric Caracas (bass) - Jean-Philippe Fanfant (dms)
Titres
1- Manman kréol - latin (A. Mizaine) - 5'18 / 2- Maladie d'amour (LG Soime) - 3'10 / 3- Dépri kow (P. Rosine) - 5'14 / 4- Mathilda (H. Belafonte) - 3'22 / 5- Konfians (M. Cinelu) - 3'49 / 6- A tou piti (P. Louis) - 5'02 / 7- Day's O (H. Belafonte) - 3'43 / 8- Rue du Faubourg du Temple (D. Bérose) - 4'34 / 9- Apré la pli (E. Césaire) - 3'59 / 10- Mési bon dieu (trad.) - 1'55 / 11- Biguine pour Germain (Ph. d'Huy) - 4'36 / 12- Doulé zenfans (S. Pinel-Féréol) - 3'20 / 13- Little Carla (Ph. d'Huy) - 0'56 / 14- Mi belle joune () - 4'04 / 15- Mathilda - version anglaise (H. Belafonte) - 3'22 / 16- Manman kréol - piano / voix (A. Mizaine) - 2'52

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