Dix ans de Bananier bleu (largement, même…)

Changement de ton aujourd’hui, avec un billet nettement plus personnel que d’habitude. Une manière de fêter un anniversaire qui n’en est pas vraiment un, les dix ans du Bananier bleu étant dépassés depuis… un an ! Mais j’avais ébauché cet article en 2011, et je n’avais jamais eu le temps de le terminer. Bien que la raison de célébrer soit aujourd’hui un peu moins fraiche, le contenu de l’article n’a rien perdu de son actualité, au contraire, ce qui justifie pleinement que je le publie enfin. Allons-y donc.

Un peu d’histoire… (A. Michelin, 1926)

Enfants, lorsque nous partions en vacances, nous traversions souvent une bonne partie de la France en voiture. Pas ou peu d’autoroute alors, les tous premiers autoradios – qui nous ont fait assimiler par cœur tout Mozart et tout Bach, c’était souvent long. Voire très long… Et les gamins que nous étions, sans Gameboy ni DS ou assimilé, il fallait les occuper ! Alors, pendant que mon père conduisait, ma mère nous lisait, à chaque ville traversée, l’édition touristique du Guide Michelin, le Guide Vert. La rubrique débutait toujours par le chapitre « Un peu d’histoire… ». Cela m’a marqué jusqu’à aujourd’hui – et il faut bien reconnaitre aussi que j’y ai fortement approfondi ma culture générale, bien malgré moi le plus souvent.

Un peu d’histoire donc…

Il y a bientôt une quinzaine d’années, peu de temps après m’être installé en Guadeloupe, j’assistais régulièrement aux répétitions de quelques amis musiciens, qui jouaient du jazz du côté de Gourbeyre au sein de ce qui allait devenir Iguane Xtet. N’étant pas musicien moi-même mais passionné, et déjà attiré par les technologies numériques de l’information, je leur proposais un jour de créer le site web du groupe pour commencer à les faire connaître. Le site du Bananier bleu naissait ainsi, en avril 2001. Un site de groupe c’est indispensable pour la communication, mais du côté informatique, et surtout dans ces années-là, on en fait vite le tour. Une fois la présentation du groupe réalisée, en l’absence de tout réseau social web constitué, comment aller plus loin et continuer à faire vivre le projet ?

Iguane Quintet 2003 w/ J. Schwarz-Bart

En regardant autour de moi, je m’aperçus assez vite que le jazz et les musiques improvisées de Guadeloupe étaient dans un désert numérique effarant, déjà très en retard sur le développement d’Internet dans le monde. Je fixais alors deux objectifs prioritaires au site : devenir un portail d’actualité sur le jazz caribéen en Guadeloupe (informations, concerts), et proposer aux musiciens des pages web afin qu’on trouve enfin de l’information sur eux sur le net, tout en les rassemblant dans un portail thématique qui aurait plus de poids que des sites individuels. Une sorte de MySpace avant la lettre, en moins interactif cependant (si, si, c’est possible).

Le Bananier bleu - old school

Je commençais par rencontrer quelques figures connues de la scène jazz locale, qui virent tout de suite l’intérêt de la démarche. Probablement dans le désordre, il y eut par exemple André Condouant, Dominique Bérose, Jocelyn Ménard, Christian Amour, Happy Lewis, Raymond d’Huy… dont les bios furent les premières à apparaître sur le site, accompagnées d’extraits musicaux. Je privilégiais le contact pour rédiger ces biographies, et certains d’entre eux se souviennent de séances de tortures à la limite de l’insoutenable quand je sortais mes fiches remplies de questions, et que je ne lâchais rien tant que je n’avais pas obtenu ma réponse. Mais le résultat était à la mesure du travail fourni ! L’effet boule de neige fut immédiat, si bien qu’aujourd’hui ce sont plus d’une cinquantaine de musiciens qui sont présents dans les colonnes du site, et il en vient de nouveaux régulièrement. Mieux encore, ils sont de Guadeloupe, mais aussi de Martinique, de Guyane, de métropole… La porte est ouverte à tous et aucune différence de traitement n’est faite entre Alain Jean-Marie, Mario Canonge, Jacques Schwarz-Bart ou bien par exemple les musiciens de Maracud’Jazz qui animent les boeufs du P’ti Paris – puis du New Ti’Paris, ou bien encore la jeune chanteuse Kaïla Djazy.

Pour le reste, le contenu du site reposait sur des brèves, des chroniques – souvent écrites par Luc Michaux-Vignes, Alain Joséphine – ainsi que sur la présentation des enregistrements et donc des disques de jazz caribéen. Aujourd’hui sur le site, 150 articles traitent de disques et s’enrichissent de plus en plus régulièrement d’articles et d’interviews sur le sujet. Les deux prochains ? « Plein Sud » d’Eric Bonheur, et « Trio Zalizé », cinquième opus fraichement pressé de la Jazz Ka Philosophy développée par Franck Nicolas.

N’ayant pas peur de grand-chose, et étant surtout passionnés, nous décidions rapidement, avec Marc Chillet, par ailleurs guitariste émérite d’Iguane Xtet, de « couvrir » les grands concerts de jazz qui se déroulaient en Guadeloupe. Le premier d’entre eux sera le concert de Richard Bona en 2002 à LaKasa. La surprise avait surtout été de constater qu’à part nous, personne n’avait essayé d’interroger le bassiste lors de son passage… Ce fût un baptême du feu pour nous qui n’avions pas la moindre idée de ce qu’était une interview, et je peux vous assurer que bien que le courant soit particulièrement bien passé avec Richard, nous n’en menions alors pas large. Depuis, merci, ça va mieux ! Nous avons donc continué. Avec évidemment les musiciens caribéens (Mario Canonge, Roland Brival, Jean-Philippe Fanfant, Michel Alibo, Christian Laviso, Dominique Bérose, Eddie Palmieri…) mais pas seulement (Captain Mercier, Bireli Lagrene, Tangora, Magic Malik, Etienne Mbappé, Kenny Garrett, François Jeanneau, Gino Sitson, Dee Dee Bridgewater…). Les histoires, les anecdotes, les rencontres se sont multipliées au cours du temps. Et je peux vous dire que nous sommes particulièrement fiers d’avoir ainsi pu rencontrer certaines de nos légendes vivantes comme Joe Zawinul ou Mike Stern. Un vrai rêve de gosse !

Joe Zawinul w/ Luc Michaux-Vignes

Au passage, je remercie les gérants de salle et organisateurs qui ont crû en nous et nous ont aidés à travailler : David Drumeaux – que l’on a vu arriver à LaKasa quasiment en même temps que nous démarrions, Olivier Tharsis – et nous étions à la naissance du Bik Kreyol, Claude Kiavué qui nous a ouvert l’accès aux musiciens qui se produisaient au Centre des Arts, Marie Claude de Lafargue qui nous a fait confiance pour le festival de jazz de Pointe-à- Pitre, ainsi que l’équipe actuelle d’IloJazz avec Jocelyne Daril et Gérard Poumaroux. J’en oublie sûrement… Plusieurs photographes nous ont également accompagnés sur les différentes scènes du jazz, et nous ont aidés à fixer ces moments de musique. Je pense à Yves Véron et Philippe Virapin. Aujourd’hui, je me pique de faire les photos moi-même, et je crois être regardé avec une certaine bienveillance par les professionnels avec lesquels je partage la fosse du bas de scène des festivals ! Actuellement, le site est riche de plusieurs centaines de pages, entre reportages, biographies, critiques, actualités… Et nous avons ouvert les oreilles hors de Guadeloupe, à la fois parce que la musique caribéenne ne se joue pas qu’aux Abymes, et également pour parler d’autre chose. C’est ainsi que par affinités naturelles, nous avons fait entrer l’Afrique et le jazz moins caribéen sur le site.

backstage : Sonny Troupé w/ Paul Henri Schol

Getting better (J. Lennon & P. McCartney, 1967)

Vous imaginez bien que parti comme cela, le site du Bananier bleu n’allait pas suffire… En fait, il m’est rapidement devenu évident que les musiciens devaient être accompagnés pour s’adapter aux évolutions technologiques en cours avec le développement du web, et bientôt l’arrivée du web social et connecté, le fameux Web 2.0. Pour démarrer, en 2005, à l’écoute des musiciens, nous avons tenté l’aventure de la vente de musique en ligne. Pas le téléchargement, mais la vente de CD physiques. Rapidement, une centaine de références étaient disponibles sur le site de MusicMétis, qui reprenaient tout ce que nous avions pu trouver comme perles musicales, anciennes ou modernes, dormant souvent dans des placards poussiéreux, faute d’avoir trouvé des canaux de promotion et de distribution efficaces. Je pense cependant que nous sommes arrivés un poil trop tard, et surtout qu’une activité de commerce en ligne ne peut être rentable qu’à condition de s’en occuper à plein temps. Le résultat est donc malheureusement qu’aujourd’hui MusicMétis a cessé de faire de la vente en ligne. Mais quelle expérience enrichissante (intellectuellement…) !

C’est Jacques Schwarz-Bart qui le premier me parla de MySpace. Installé à New York, il avait pris la vague largement avant nous. Comme disait Steve J., ce fût une révolution. À partir de là, le développement des réseaux sociaux a été exponentiel – et n’est pas fini : on entrait dans l’ère des modes numériques, du toujours plus, toujours plus vite, toujours plus connecté, que nous connaissons aujourd’hui, bordé par quelques monstres comme FaceBook, Google, Apple. En marge du Bananier bleu, prémices, je commençais à monter des pages MySpace à ceux qui le voulaient. Si bien qu’au cours de ces années, nous avons tissé des liens souvent étroits avec les musiciens, dont beaucoup aujourd’hui nous font confiance lorsque nous leur proposons de travailler avec eux. C’est une grande fierté ! Nous avons appris comment ils fonctionnaient, nous avons mis le doigt sur les problèmes qu’ils rencontraient, et dans ces temps où l’économie de la musique est bouleversée par les évolutions technologiques – et les modifications sociétales qui en découlent, notre expertise nous permet d’entrevoir des solutions, de conseiller.

Et maintenant… (G. Bécaud, 1962)

Pour concrétiser tout cela, le dernier développement en date du Bananier bleu, c’est « l’Agence », pour aider les musiciens à se retrouver dans le monde numérique, et surtout à s’en sortir, pas à s’y noyer. Depuis 2008 l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée d’Hélène Mer, et pour les artistes de notre « catalogue », nous gérons avant tout l’ensemble de leur présence en ligne, ce que j’appelle leur écosystème numérique, allant du site web aux principaux réseaux sociaux du moment, aux applications permettant de gérer les plannings de concerts, la communication, la vente en ligne, et toutes les relations fonctionnelles entre ces systèmes ; nous les aidons aussi parfois pour la conception de leurs albums – design, stratégie… Finalement, on touche un peu à tout – parce que c’est indispensable, du management au booking, à la communication. Bref, hormis la production – pour l’instant – un vrai boulot de label. Je trouve important d’aider les musiciens à prendre du recul par rapport à ces évolutions, à réfléchir sur les stratégies – faut-il lutter contre le piratage ? quelle stratégie de vente et de communication ? etc. – et je sens surtout qu’ils apprécient cette bouée qui leur permet de se maintenir à flot et de se consacrer plus librement à la seule chose vraiment importante, la musique !

enregistrement de Terre-Mçre. Jocelyn Ménard. Avril 2012.

Je ne sais pas de quoi sera fait demain, mais je souhaite que nous ayons encore longtemps l’occasion de continuer à travailler ensemble, car nous n’en sommes qu’au début. Je souhaite que les musiciens voient les fruits de ces efforts se concrétiser. Je souhaite que nous puissions développer notre activité pour en aborder les pans encore inexplorés (de nous !). Bref, longue vie au Bananier bleu ! Et encore une fois, bon anniversaire !

Quelques références :

5 réflexions sur “Dix ans de Bananier bleu (largement, même…)”

  1. Dominique Bérose

    Un travail de titan, merci merci Christophe pour toute cette détermination et cette patience.
    je te souhaite encore plus d’énergie afin de continuer à informer le monde entier.

  2. Alain Joséphine

    RESPECT !
    Il faut cependant signaler l’existence du forum du Bb qui fut, le temps de quelques mois, le théâtre d’échange passionnés . Il y avait là un réel espace de discussion qui permettait à tous de s’approprier l’information présente sur le site, et de la traiter ” personnellement ” .

    1. Christophe Jenny

      J’avais complètement oublié l’épisode du forum. Et pourtant, oui, c’était l’époque héroïque ! Une certaine liberté de parole, pas toujours consensuelle fort heureusement. Des idées brassées. Oui, un grand moment aussi !

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