Blind test Etienne Mbappé

logo01-030Etienne M’bappé est venu avec son groupe, présenter “Misiya” au premier LaKasa Jazz Fest 2005. Nous avons profité de l’occasion pour revisiter avec lui les quinze dernières années de sa carrière musicale, aussi riche que diversifiée. On y a même trouvé quelques perles oubliées… Etienne nous parle de ces rencontres multiples qui ont façonné son histoire et son style.
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Ray Lema – 1989 – Nangadeef

Etienne M’bappé : Nangadeef, absolument. Ca me rappelle, – merci de me situer au niveau du temps, parce qu’il y en a tellement eu que je ne me rappelle pas de tout – et par contre là, c’est une session dont je me souviens très bien. C’était au studio Davout. Ray m’avait appelé, ça faisait un moment qu’il voulait jouer avec moi, et bien sûr pour moi c’était une grande expérience de travailler avec lui. En plus c’était un disque important pour Ray. A l’époque, il me semble qu’il était encore chez Island Records et c’était un disque charnière pour ce qu’est devenu Ray Lema par la suite. Et le fait qu’il m’y ait associé était un énorme plaisir. J’ai 23/24 ans à l’époque, il y a Paco Séry à la batterie… grande expérience !

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ONJ – 1989 – African Dream

EM : Oui, oui, absolument – African Dream. Grande expérience aussi. Ce sont ces années-là, 88-89, où tout s’est déclenché, où tout commence. Les grands commencent à faire appel à moi et c’est vraiment super. Donc l’ONJ – et je précise que j’y suis rentré avec mon passeport camerounais, quand même, ce qui n’est pas rien, parce qu’il ne faut pas oublier que c’est quasiment un orchestre d’état ! Donc direction, Antoine Hervé, qui me demande de faire partie de l’orchestre, et surtout d’écrire pour l’orchestre, et c’est le fameux morceau, “Sumotori” que je jouais déjà un peu avec Ultramarine à l’époque. Il m’avait demandé de réarranger le morceau pour l’orchestre. Ce sont deux-trois années de grands souvenirs passés avec l’orchestre sous la direction d’Antoine, avec à la clé, “African Dream”, cet album qui est superbe, que j’écoute encore régulièrement, et ça me remémore ces séances au studio Acousti…

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Dé – 1989 – Ultramarine

EM : En fait, “Dé” n’est pas le premier album d’Ultramarine. Le premier s’appelait “Programme Jungle” qui était sorti vers 84-85, à une époque où je n’étais pas encore dans le groupe. Il y avait au départ un autre bassiste, martiniquais. Et puis justement il envisageait de quitter le groupe pour faire autre chose, alors tout de suite après ce disque-là, je suis rentré à sa place. Je suis donc arrivé en 85, j’avais 21 ans et Ultramarine avait tout juste une ou deux années d’existence. C’est le groupe avec lequel j’expérimente vraiment mes premières compositions. Avec la fougue des vingt ans, on a envie de tout révolutionner, de tout faire bouger. J’apporte ma patte africaine au groupe, je leur soumets mes idées en leur disant dans quelle direction je veux aller. Dans le groupe je croise Mokhtar Samba, batteur sénégalo-marocain, donc ça fait deux influences africaines, Afrique de l’Ouest et Afrique Centrale, et puis bien sûr il y a deux antillais, Bago et Mario Canonge qui nous apportent les îles, Nguyen Lê rapporte quelques notes de son Asie, et enfin Pierre-Olivier Govin qui assied tout ça avec son saxophone, et ça donne Ultramarine

Le Bananier Bleu : Ultramarine est un groupe qui m’a profondément marqué à l’époque, et je ne dois pas être le seul. Est-ce que vous aviez conscience d’ouvrir une nouvelle voie ou pas ?

EM : Pas du tout ! On faisait des choses parce que ça correspondait à ce qu’on avait envie de faire. On voulait vraiment mettre nos cultures en avant. Par exemple avec Djanéa qui ouvre “Dé” j’apporte ce côté makossa du Cameroun… en l’adaptant forcément parce que tout le monde n’était pas camerounais. Le vrai but c’était d’arriver à cette combinaison culturelle, ce métissage qui a fait la force d’Ultramarine. On n’avait absolument pas l’impression d’ouvrir une voie. Ca, on l’a su bien après.

LBB : Et justement, les guitares africaines sont jouées par Nguyen Lê ?

EM : Non, c’est moi [Rire] !

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U Nguo Ya – 1990 – Claude Ndam

EM : [il cherche…] C’est bien, ça, dis-donc… [après 30 sec] Alors là, c’est incroyable ! Ca, c’est un gars qui s’appelle Claude Ndam ! Je n’ai jamais ré-écouté ça ! Je n’ai même pas le disque ! C’est sorti probablement en cassette, mais jamais en CD. Incroyable ! [Après avoir été informé] Absolument, je me rappelle très bien de cette séance-là. Il y a un percussionniste, Sydney Thiam, qui m’appelle, qui me dit qu’il y a un camerounais avec lequel il va faire un disque, et moi j’arrive, et je découvre ce Claude Ndam, un bamoun je crois… et je découvre une musique que j’adore ! Quand je suis parti du Cameroun, j’avais 14 ans, alors là je retrouve des rythmes qui ont bercé mon enfance – même si ce n’étaient pas les plus répandus – Et je tombe sous le charme du gars, de sa voix, et je m’investis complètement dans le projet. C’est vraiment un grand plaisir pour moi de ré-écouter ça. Et ça groovait déjà bien !

LBB : Curieusement sur ce disque de musique traditionnelle, il utilise une boite à rythme !

EM : Oui, c’est la période, la fin des années 80, donc c’était la mode…

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Amen – 1991 – Salif Keita

EM : Grande expérience ! Je suis arrivé en France en 1978, et je suis retourné au Cameroun seulement en 1990, douze ans après. Et pendant ce séjour où je suis en vacances au Cameroun, le téléphone sonne “Allo, bonjour, c’est le management de Salif Keita, il a envie de jouer avec vous, vous rentrez quand ?“. Donc… je rentre ! On fait juste trois ou quatre répétitions et c’est parti, premier concert à New York, grosse tournée américaine, ensuite une bonne quinzaine de dates au Canada, puis le Japon… A Tokyo on joue même quatre-cinq jours de suite dans un théâtre, puis Nagoya, Kyoto. Et du coup avec cette grosse tournée, je croise énormément de gens qui côtoient Salif dans une période où il a complètement le vent en poupe, donc je noue beaucoup de contacts importants. Puis se dessine ce disque là, qui deviendra une référence du genre, qui plus est, arrangé par Joe Zawinul, ce qui m’intéresse évidemment au plus haut niveau. C’est à cette période que je commence à croiser les musiciens qui m’ont fait rêver : Joe Zawinul donc, mais aussi par exemple avec une petite tournée aux Etats-Unis avec Carlos Santana – j’ai gardé les photos !

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E Si Mala – 1991 – UltramarineLBB : L’année 1991 est aussi celle du dernier disque d’Ultramarine…

EM : Et oui, malheureusement le dernier. Mais c’était parce que justement là, on avait déjà fait beaucoup de choses. On voulait changer, tourner en dehors de la France… et on n’y arrivait pas avec Ultramarine. En plus, chacun avait envie d’explorer un peu son propre domaine. Moi j’ai continué avec Salif Keita, Mario a commencé sa carrière solo, Nguyen Lê aussi. J’ai aussi commencé à accompagner pas mal de stars de la chanson française. En fait, on ne s’est jamais officiellement dissous, on s’est juste un peu éparpillés.

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Sili Béto – 1992 – Touré Kunda

EM : Oui, Sili Béto avec Touré Kunda. Excellent album. Bon, évidemment, je suis dans la mouvance de ces groupes africains qui ont le vent en poupe. Moi, je suis jeune musicien. On commence à me demander pour des séances régulièrement, et bien sûr j’accepte parce que ce sont des noms très connus. L’expérience m’intéresse aussi au plus haut point. Et Touré Kunda a vraiment marqué la musique dans les années 80, avec des tubes comme Emma, le live à Ziguinchor…

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Homme Démesuré – 1993 – Epée et Koum

EM : Oohh ! Mais ça, ce sont les jumeaux, non ? Epée et Koum ? C’est le makossa classique du Cameroun. Il y en a eu d’autres, comme Ekambi Brillant par exemple… Mais j’en ai finalement fait assez peu. Il y a bien sûr eu Manu Dibango, dans la série des albums “Négropolitaines”. Mais là, pour Epée et Koum, c’est le grand Aladji Touré qui m’appelle, donc j’y vais, et je trouve ces deux jeunes là, qui sont absolument fabuleux. Un grand moment de studio.

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Lumières – 1994 – Liane Foly

EM : Ah oui, Liane Foly, Live à l’Olympia. En chanson française, il y en a eu d’autres, Higelin, Catherine Lara, Michel Jonasz avec lequel je suis resté dix ans et sûrement d’autres que je ne connais même pas parce que parfois on faisait des séances, on ne savait même pas pour qui ! Ce passage dans la chanson française est important. Ca n’a évidemment rien à voir, mais côtoyer la chanson française dans ces années-là ce n’est pas donné à tout le monde parce que c’est un cercle très fermé. Moi j’arrive là, musiciens camerounais, et de grands artistes me font confiance, donc c’est important pour mon enrichissement personnel. J’apprends aussi comment gérer ces grandes scènes, l’Olympia, Bercy qui ne sont justement pas des grandes scènes jazz. J’apprends le métier !

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C’est la Vie – 1995 – Henri DikonguéEM : Ca c’est Henri Dikongué.

LBB : Oui, tu as d’ailleurs travaillé sur plusieurs de ses disques. Est- ce qu’ avec lui et certains autres musiciens de la nouvelle génération, on peut parler d’une sorte de “nouvelle chanson africaine” ?

EM : Tout à fait, Henri s’inscrit dans la mouvance où l’on trouve d’autres jeunes, Donny Elwood, Richard Bona, moi-même d’ailleurs aussi ! On sort parfois des formats de la chanson camerounaise, ce ne sont pas forcément des makossas tonitruants, des bikutsis à n’en plus finir. C’est une nouvelle manière de s’exprimer dans la chanson camerounaise. Et c’est pour ça que quelqu’un comme Dikongué fonctionne. Il a tellement surpris les gens, ce côté poète, un peu à la Brassens. C’est une nouvelle manière de faire de la musique, comme son tube “C’est la vie” par exemple.

LBB : Tu es même directeur musical sur ses disques…

EM : Oui. Et je fais aussi la basse sur tous les disques d’Henri, et notamment sur le dernier qui vient de sortir, il y a juste quelques jours.

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Pa Présé – 1996 – Beethova Obas

EM : C’est Beethova Obas. Le disque s’appelle “Pa Présé”, c’est ça ? Oui, je me souviens de cette séance là, avec Dominique Bérose. C’était un grand moment de rencontrer ce grand poète chanteur haïtien. Ce sont des moments très forts, parce qu’il chante Haïti, Port au Prince, son pays… et ça n’a rien à voir avec les quelques séances que j’ai aussi pu faire dans le milieu antillais, à la fin des années 80. Un grand Monsieur.

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15 mai 1999 / Concert Live – 1999 – Bisso Na BissoEM : Le collectif congolais, Bisso Na Bisso. Ils m’ont même entraîné chez eux au Congo, j’ai pu croiser le président Sassou N’guesso. C’est bien, c’est l’Afrique qui s’unit, les gens d’un pays qui s’unissent. Là ce sont des jeunes congolais parisiens qui se mettent ensemble pour exprimer et célébrer la musique africaine en la mélangeant avec leurs influences rap, hip hop… et ça donne Bisso Na Bisso. Et vraiment, en ce qui les concerne, je prie pour que cette initiative ne s’arrête pas là, parce que c’est vraiment très frais, et ça fonctionne.
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Satyagraha – 1999 – Chic Hot

EM : Chic Hot. Oui. C’est moi qui l’ai monté ce groupe-là. C’est né dans les clubs parisiens. C’est juste une réunion de musiciens, dans des soirées où on ne savait pas toujours quoi jouer. On a repris des standards que tout le monde connaissait. J’ai appelé mon ami Mario Canonge au piano, Roger Biwandu, à l’époque jeune batteur et qui est aujourd’hui dans mon groupe, mais que j’ai rencontré à Bordeaux, justement dans les années où je jouais avec Higelin et enfin Hervé Gourdikian avec lequel j’ai joué avec Liane Foly. C’est vraiment des amis. Au passage, je resouligne l’importance de ces passages dans la chanson française, parce que c’est comme ça que j’ai rencontré quelqu’un comme Hervé qui est aujourd’hui dans mon groupe et qui est dans Chic Hot, parce que c’est un musicien fabuleux. Chic Hot, ce sont les prémices de tout ce que j’avais dans la tête, j’avais déjà envie de faire un disque, mais pas uniquement jazz, en tous cas ce n’était pas uniquement ce que j’avais envie de dire en tant qu’Etienne M’bappé.

LBB : Techniquement et musicalement, c’est un disque de très haute qualité.

EM : Oui, c’est vrai qu’on s’était appliqué. Il était très frais, même si commercialement je pense qu’il a été complètement incompris par la presse parce qu’on le trouvait trop ou pas assez jazz, enfin jamais ce qu’il fallait ! Mais ce n’est pas grave, c’est le problème des étiquettes qu’on veut toujours coller sur quelque chose. Mais pour nous c’est toujours un plaisir de l’écouter. Il y en a un deuxième en chantier qui devrait être enregistré en avril.

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Attentat – 2000 – Koffi Olomide

EM : “Attentat” de Koffi Olomide. J’ai rencontré Koffi un jour en répétition avec les Bisso Na Bisso justement. Il ne m’a jamais quitté des yeux, et il m’a dit “Toi, sur mon prochain album, tu es là !” Et voilà, c’était “Attentat”. Il m’a appelé au studio Davout, où j’ai croisé mon compère Guy Nsangue qui est aussi sur l’album. Il y a sur l’album un duo avec une chanteuse sénégalaise et qui a beaucoup marché, et c’est moi qui officie à la basse, et parfois quand je suis dans un taxi au Cameroun ou au Sénégal, j’écoute ça et je suis discrètement très fier.

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Voyages – 2000 – Paco Séry

EM : Mon ami Paco Séry, avec qui j’avais déjà partagé l’expérience Rido Bayonne. Après lui était dans Sixun et moi dans Ultramarine, mais on a fait beaucoup de séances ensemble, par exemple avec un percussionniste sénégalais Abdou Mboup, avec Ray Lema, Zawinul…

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Faces and places – 2002 – Joe Zawinul

LBB : Et bien justement parlons de Joe Zawinul avec lequel tu tournes pendant quelques années avant que ça ne débouche sur « Faces and Places ». Tu apportes à ce disque le côté africain très présent.

EM : Oui c’est vrai que c’est moi qui ai donné l’influence makossa à ce disque précisément. Joe Zawinul est quelqu’un qui improvise beaucoup. Quand on va en studio, parfois on ne sait vraiment pas ce qu’on va jouer. Et ce morceau “All about Simon”, c’était une nullité complète. Je lui ai dit qu’on ne pouvait pas le sortir comme ça, que j’allais essayer de l’arranger, évidemment avec mes influences africaines. Il m’a laissé chanter dessus. Il y a aussi une autre composition de moi sur cet album. Une balade qui a été enregistrée à l’hôtel d’Albret à Paris, “Siseya”. C’est une improvisation aussi.

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Misiya – 2003 – Etienne Mbappé

EM : C’est l’album dont je rêvais depuis longtemps, et je pense qu’il était temps pour moi de le faire. J’ai fait beaucoup de choses pour les gens, et il était temps pour moi. J’avais suffisamment mûri pour pouvoir avancer. Et pour la petite histoire, la décision remonte à 2000 en Afrique. On m’appelle pour aller jouer là-bas, et c’est là que je reçois l’énergie et la force nécessaire pour mener à bien ce projet-là. Il a pris un peu de temps mais il est là et j’en suis vraiment fier, parce que c’est l’album qui caractérise un peu ce que je suis et mon parcours jusque là. Le prochain est d’ailleurs déjà en route. J’ai mis beaucoup de temps pour celui-là, mais maintenant, je pense qu’à une fréquence de 18 mois il faut qu’il y ait quelque chose qui sorte.

LBB : Merci Etienne pour cette revue de ton parcours musical.

EM : Merci à toi.

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Entretien réalisé le 28 janvier 2005Christophe Jenny Crédits photos : Yves Véron

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