Après une version confidentielle et enregistrée en re-recording, Jacques Schwarz-Bart nous livre“Inspiration“, la version définitive de son grand projet actuel, the Brother Jacques Project. Jacques avait déjà présenté ses compositions lors du Festival Jazz à Pointe-à-Pitre en décembre 2002. Il s’était entouré pour l’occasion de son groupe New Yorkais, et accompagné de la chanteuse Stephanie McKay. Le Bananier Bleu avait déjà rencontré Brother Jacques lors de la sortie de la première version. L’interview vient d’être réactualisée avec la version définitive, déjà distribuée au Japon…
Le Bananier Bleu : Tu sors la version définitive du Brother Jacques Project sur lequel tu travailles depuis plusieurs années. Après une première version en re-recording, restée confidentielle, la version live est sous presse et devrait être livrée dans le courant de l’année. Que représente ce concept pour toi et comment le démarques-tu de ce que tu as fait précédemment ?
Brother Jacques : A travers mon premier disque, “Immersion”, je me concentrais sur l’idiome du jazz acoustique traditionnel. En contraste, le “Brother Jacques Project” incorpore des éléments de plusieurs styles : grooves hip-hop ou drum’n’bass, harmonies gospels et jazz. On y trouve même des textes chantés ou parlés. J’ai voulu créer un style qui me permette d’être à la fois un compositeur, un parolier, et multi-instrumentiste.
LBB : Tu prends donc un tournant radical avec “The Brother Jacques Project”. L’ensemble est joué avec ton groupe habituel, mais on trouve également la collaboration de la bassiste Me’shell N’degeocello sur le dernier morceau. A quoi correspond ce choix ?
BJ : Il était important pour moi de déterminer les couleurs majeures du tableau que je voulais peindre avant d’inviter d’autres artistes. C’est pourquoi j’ai attendu d’avoir pratiquement terminé le CD avant d’en parler à Me’shell.
LBB : L’autre nouveauté, c’est que tu chantes sur ce disque.
BJ : Oui c’est une sacrée nouveauté. Je ne comptais pas du tout chanter. Je chante essentiellement des backgrounds. Ma voix se marrie harmonieusement à celle de Stephanie Mckay sur les punchlines de certains morceaux tels que Forget/Regret ou Feel So Free. Je n’ai un rôle de lead singer que sur la chanson Rise Above.
LBB : L’autre voix du BJP est donc celle de Stephanie McKay qui vient de l’univers acid jazz / R’nB’.
BJ : Stephanie Mckay est une importante partie de mon projet. Elle a une voix unique et reconnaissable qui allie puissance, chaleur et fragilité. Elle vient de la soul music, et elle est destinée à une grande carrière. Son album solo, “McKay”, est sorti l’an dernier sur Universal en Europe, et envahira la planète entière d’ici la fin de l’année 2004 puisqu’il sera diffusé par une major américaine.
LBB : Le fil conducteur du disque est un groove pas forcément rapide mais toujours puissant. Une sorte d’underground new-yorkais…
BJ : Le projet entier est enraciné dans ce type de groove qui peut varier en tempo mais qui doit être constant en puissance et expression. Je crois que mon choix de couleurs harmoniques est délibérément impressionniste, et pour cela il me fallait bâtir une base rythmique inébranlable. J’ai voulu créer du rêve, ancré dans la réalité.
LBB : En quelques années depuis Berklee, on peut dire que tu as déjà eu une trajectoire fulgurante avec de très nombreuses collaborations de qualité (Olivier Hutman, Bob Moses, Roy Hargrove, James Hurt, Erykah Badu entre autres). Au-delà de la qualité de ton jeu qui te fait souvent apprécier par les autres musiciens, à quoi attribues-tu cette vitesse de “carrière” ? New York est un bon catalyseur ?
BJ : Je crois qu’il y a trois éléments qui reviennent dans la bouche des grands musiciens qui ont fait appel à moi : la qualité de mon son, mon sens du phrasé et l’honnêteté de mes émotions : je ne triche pas avec ce que je ressens. Quant au fait d’être à NY, ça m’a aidé à mûrir vite. Mais ma carrière demeure un mystère à mes propres yeux, car je suis le seul saxophoniste étranger qui ait eu la chance de jouer avec les plus grands, depuis Barney Wilen dans les années 50 (et même lui avait la double nationalité américaine).
LBB : Tu es né en Guadeloupe et tu es attaché à cette origine. Est-ce que cela a une influence sur ta musique ?
BJ : Bien sur : mon antillanité, c’est mon arme secrète. Elle n’est pas toujours visible, mais elle est toujours présente, à la façon d’une saveur subliminale. Il y a des morceaux tels que Mind soother, où mes origines ressortent de façon plus évidente. On peut reconnaître ma touche antillaise dans la syncope de mon phrasé (Abyss), dans les intervalles de certaines mélodies (Feel So Free), dans la langueur de certains grooves (Rise Above).
LBB : A côté du Brother Jacques Project, tu collabores à beaucoup de projets métissés aux rythmes antillais – Gwoka, compas, biguine. Tu as par exemple enregistré avec Franck Nicolas pour Jazz-Ka Philosophy, tu viens également d’enregistrer avec Mario Canonge. Que peux-tu dire de ces collaborations, et as-tu des projets personnels dans ce domaine ?
BJ : Les deux projets que tu viens de mentionner me tiennent beaucoup à cœur. J’admire Franck Nicolas et Mario Canonge pour leur travail en profondeur. Ils ont réussi à ouvrir le Gwoka aux sonorités de la musique moderne plutôt que de l’enfermer dans un ghetto. De mon coté cela fait des années que je travaille à un projet qui allie le Gwoka, le jazz et les sons du hip-hop. Je vous en donnerai la primeur lorsque je serai plus avancé.
LBB : Qu’est ce que tu écoutes comme musique en ce moment ?
BJ : En ce moment j’écoute beaucoup de musique brésilienne: Dori Cayimi, Milton Nascimento, Tonhino Horta. Je trouve que les Brésiliens ont une longueur d’avance sur le reste des pays métisses quand il s’agit d’allier musiques africaines et occidentales.
LBB : Y aura t-il un Brother Jacques Project N°2 ?
BJ : Je pense que oui. Je perçois le Brother Jacques Project comme une voie musicale à travers laquelle je souhaite me développer dans les années qui viennent.
Inspiration (The Brother Jacques Project)
Année : 2003
Label / référence : BJP Records (BJP-01)
Personnel : Jacques Schwarz-Bart (sax, fl, vcls), Stephanie McKay (vcls), Jonathan Maron (b), Terreon Gully (dms), Jason Lindner (keys) + Me'Shell NdegéOcello, Gene Lake, Federico Peña
- N’oubliez pas de consulter le Site de Brother Jacques.
- Voir aussi le Site de Stephanie McKay