Entretien avec Richard Bona – avril 2002

Richard Bona s’est posé pendant deux jours en Guadeloupe à l’occasion d’un concert magique à LaKasa, en duo avec son excellent clavier, Etienne Stadjwik. Alternant ballades acoustiques, makossas suggérés, ou reprises de l’incontournable Jaco Pastorius, entre humour et message d’espoir et d’écologie, Richard Bona a ravi un public conquis d’avance. Qui plus est, la présence surprise de Jacques Schwarz-Bart a encore enrichi la soirée. En première partie, le groupe Simen Kontra a présenté avec brio ses arrangements de Gwo-Ka moderne. En fin de spectacle, un public de prestige s’est joint au boeuf final : Mario Canonge, Jean-Philippe Fanfant et Thierry Fanfant.

Richard Bona
s’est ensuite fait happer par l’énergique communauté camerounaise de Guadeloupe pour une journée “retour au pays” mélée d’innombrables histoires, de souvenirs, de gestes, de cris et de larges rires, tout cela bien sûr autour des incontournables plats camerounais, ndolé, foufou, poisson braisé, miondos… Nous avons tout de même réussi à le détourner un petit quart d’heure pour parler de musique et de ses projets.


Richard Bona

Le Bananier Bleu : Il semble y avoir de plus en plus de bassistes camerounais au plan international. A quoi est dû cet engouement ?

Richard Bona : Tu sais, la basse, c’est l’instrument qui guide la musique. Au Cameroun, dans les rythmes traditionnels, c’est donc un instrument très important, qui donne le groove. C’est pour cela qu’on apprécie les bassistes camerounais, particulièrement dans les musiques dansantes et rythmées. En plus, on a l’exemple de nos ainés. Il y a beaucoup de bassistes connus, au moins au Cameroun et qui nous ont donné l’exemple. Alors aujourd’hui, c’est comme une sorte de vague. Espérons qu’elle durera longtemps. En Afrique, avec le climat chaud et humide qu’on a, c’est aussi très difficile d’entretenir un instrument comme un saxophone. C’est difficile de se procurer des anches par exemple. Richard Bona & Jacques Schwarz-BartDonc les gens se tournent vers des instruments qui ne posent pas trop de problèmes, guitare ou basse.


LBB : Toi-même, tu étais guitariste au départ.

RB : Oui, quand j’étais jeune et que je jouais dans les clubs à Douala, j’étais surtout connu comme guitariste.

 

Richard Bona, Jacques Schwarz-Bart

LBB : Quels sont tes projets pour tes prochains disques. On dit que tu veux arrêter de chanter ?

RB : C’est vrai. Ce ne sera peut-être pas définitif, mais pour l’instant j’ai beaucoup d’autres idées que je voudrais explorer. Je veux rester proche de mes racines. Il y a beaucoup d’autres facettes de la musique africaine que je veux faire connaître, d’autres rythmes en particulier au Cameroun, venant du Nord-Cameroun, du Sud… C’est important de laisser un témoignage de notre culture car personne d’autre ne le fera pour nous. On veut te faire croire que la musique c’est la mode, mais ce n’est pas vrai. Tu sais, les modes passent, mais la vraie musique, elle, elle reste. Ma musique veut aussi faire passer un message d’amour. Un message écologique d’abord parce qu’aujourd’hui le monde court à sa perte et qu’il faut que des gens le dénoncent. Je suis aussi choqué par la façon dont notre société a tendance écarter les personnes agées. C’est un manque de respect et une méconnaissance de notre histoire. C’est vrai que mes textes sont chantés en douala qui n’est pas une langue répandue, mais c’est parce qu’esthétiquement je ne peux personnellement pas chanter autrement (si je chante en anglais, j’ai un accent africain dont tout le monde se moque (rires…)). C’est pour cela qu’il y atoujours les traductions dans les livrets.

 

Richard Bona

LBB : Tu es resté cinq ans à Paris, mais tu as préféré partir à New-York.

RB : A Paris, ce n’est pas forcément facile de s’intégrer au niveau musical. Si tu veux faire ce dont tu as envie, tu es vite marginalisé. Pour vivre, il fallait accepter d’accompagner des chanteurs en tournée, enfin de faire des choses qui musicalement ne me correspondaient pas. Je sais que beaucoup de musiciens professionnels le font, Etienne Stadjwikmais moi je ne voulais pas. Alors j’ai préféré partir m’installer aux Etats-Unis où la scène est plus ouverte.

LBB : La communauté musicale africaine est importante à New-York ?

RB : Non, pas très grande, encore qu’elle s’élargisse un peu actuellement. Tu sais, pour les musicains africains, l’aboutissement, c’était d’arriver à Paris. Pas ailleurs en Europe, à Paris. Après il y avait la barrière de la langue. Mais maintenant, il semble que certains viennent quand-même s’installer aux Etats-Unis.

 

Etienne Stadjwick

LBB : Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?

RB : D’une manière générale, j’écoute de tout. Le dernier disque que je viens d’acheter, c’est “Both sides now” de Joni Mitchell. C’est un très beau disque avec des arrangements d’orchestre et ça m’intéresse parce qu’en ce moment je prends justement des cours d’arrangement. Tu sais, je fais aussi des musiques de cartoons au Japon, pour les enfants. C’est fabuleux d’écrire pour les enfants et de voir comment leurs yeux brillent quand ça leur plaît. Ca vaut tous les publics du monde.

LBB : Richard, une dernière question, qui va gagner la coupe du monde de football ?

RB : (Richard se lève à moitié en roulant de grands yeux) Mais comment, tu oses me poser la question ! Ah, ah. (Grands rires et embrassades).

LBB : Merci Richard. A bientôt.

RB : C’est moi. Merci à vous.


Entretien réalisé le 21 avril 2002
Christophe Jenny & Marc Chillet

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