Jazz Ka Philosophy

En septembre dernier, le trompettiste Franck Nicolas emmenait à New-York quelques-uns des meilleurs représentants du jazz guadeloupéen pour enregistrer un album autour du Jazz et du Ka, “Jazz-Ka Philosophy”, mariage décidément en vogue ces temps-ci. De passage en Guadeloupe à l’occasion d’une tournée avec Kafé et Randy Weston, Franck Nicolas nous parle en avant première de son disque et nous présente sa vision du Ka-Jazz.


Jazz Ka Philosophy (Franck Nicolas)


Année : 2002
Label / référence : Label Jazz Ka (CD 7777 KA)
Personnel : Franck Nicolas (tp), Jacques Schwarz-Bart (sax), Magic Malik (fl), Alain Jean-Marie (pno), Lonnie Plaxico (dbl bass), Joby Julienne (boula-ka) et Sonny Troupé (marker-ka), Louis Allèbe Montjoly De Montaigne (perc)


En deux mots : En septembre 2002, Franck Nicolas enregistre à New-York, le premier volet de sa Jazz Ka Philosophy. Il convoque pour l'occasion une pléiade de talents guadeloupéens et martiniquais : Jacques Schwarz-Bart, Magic Malik, Alain Jean-Marie, Joby Julienne, Sonny Troupé et Louis Allèbe Montjoly De Montaigne. Le grand contrebassiste Lonnie Plaxico est également de la partie. Jazz Ka Philosophy inaugure la série des illustrations de pochettes piochées dans l'oeuvre de Michel Rovelas.

Studio-1-Franck-&-AlainLe Bananier Bleu : “Jazz Ka Philosophy” est le titre de ton dernier album. C’est tout un programme en soi. Tu avais précédemment commencé à défricher le terrain avec “Accoustick Voyage”. Quelle est cette philosophie que tu cherches à développer ?

Franck Nicolas : Le Jazz-Ka s’accompagne d’une certaine philosophie que l’on peut présenter en trois points : d’abord témoigner du Mal pour faire le Bien, c’est-à-dire peindre le tableau de l’esclavage en délivrant un message de paix et de liberté, ensuite, l’épicurisme insulaire, et enfin la quête de la spiritualité et de la perfection à travers l’art. C’est une philosophie de vie où l’art constitue un véritable épanouissement moral et intellectuel.

Le Bananier Bleu : Il y a un engouement très actuel pour le Jazz-Ka (ou le Ka-Jazz !). Je pense en Guadeloupe à des groupes comme Simen Kontra, ou le travail de Kafé, et à l’étranger à la rencontre de David Murray et Guy Konket. En quoi ta musique se démarque t-elle de celles-ci ?

Franck : Tous ces groupes de Ka recherchent leurs racines à travers la musique, mais attention, faire du Jazz, c’est maîtriser le language rythmique et surtout harmonique propre à cette forme d’art. C’est être capable d’improviser sur des standards tels que “All the things you are”, “Body and soul”, “Giant Steps” ou encore “Moment’s notice”. Mais c’est tout d’abord posséder un son Jazz, chose que peu de non-américains ont. Le Jazz est une culture et avant de s’en réclamer, il faut maîtriser son language, ce qui demande des années de travail et de sacrifice. Il faudrait avoir plusieurs vies pour atteindre la perfection dans cette musique !! Pour moi , les groupes de Gwo-Ka comme Simen Kontra, Van Lévé, Horizon ou Kafé ne font pas du Jazz-KStudio-5a, mais du Gwo-Ka moderne, ce qui est tout-à-fait à leur honneur puisque ils défendent les couleurs de la Guadeloupe. J’aime la conception de Kafé qui veut retranscrire les chants des esclaves travaillant dans la canne à travers les improvisations des solistes. J’aime également celle de Van Lévé, qui a beaucoup été influencé par le Jazz-Rock. Pour moi, tous ces groupes font du Gwo-Ka avec de l’improvisation propre au Ka, mais ne font pas du Jazz proprement dit. C’est tout-à-fait l’inverse avec les expériences faites par David Murray, Archie Shepp ou Ravi Coltrane. J’ai bien écouté et analysé leur travail. C’est très bien que des jazzmen américains, mondialement connus, s’intéressent au Ka, mais ils ne possèdent pas notre culture et ne maîtrisent pas nos subtilités rythmiques ; dans leurs mélodies les accents du Ka sont inexistants. Le résultat n’est autre qu’une superposition du Jazz sur le Ka et non une véritable fusion entre les deux musiques. Pour ma part, je pense sincérement avoir trouvé l’alchimie qui allie le Jazz et le Ka, tout simplement en réunissant des musiciens qui maîtrisent aussi bien le language du Ka que celui des standards du Jazz. Pour moi, le véritable Jazz-Ka est né à New York en septembre 2002, lorsque pour la première fois, j’ai entendu le Jazz et le Ka se fondre totalement pour donner une nouvelle musique, à la fois roots et avant-gardiste.

Le Bananier Bleu Studio-2-Magic-Malik: Tu vis à Montpellier. Est-ce que le message et les nuances que tu fais passer dans ta musique sont perçues par le public en métropole ?

En France, le public découvre le Jazz-Ka avec enthousiasme. Les oreilles averties se disent étonnées d’entendre une telle musique, car on a pour habitude d’associer les Antilles françaises au zouk. Le Jazz-Ka est une musique savante et présente une autre facette culturelle de la Guadeloupe.

Le Bananier Bleu : Alain Jean-Marie au piano, Magic Malik à la flûte, Jacques Schwarz-Bart au saxophone, sans oublier Joby Julienne et Sonny Troupé, l’essentiel des musiciens qui t’accompagnent, toi y compris, sont guadeloupéens, et qui plus est d’envergure internationale. C’est un pari réussi ? C’était important de réunir un tel casting ?

Franck : J’ai voulu partager ma musique avec quelques uns des meilleurs musiciens guadeloupéens du moment. C’est une chance, et je suis heureux d’avoir pu réunir cette équipe formidable qui a pu enregistrer mes compositions parfois complexes, sans répétition aucune. Je tiens à ajouter que Sonny Troupé est le premier tambouyé que je vois jouer en lisant une partition, que Lonnie Plaxico est le premier américain qui a compris et intégré dans son jeu le rythme du Ka à la contrebasse, et que Louis Allèbe Montjoly de Montaigne, seul martiniquais du groupe, est pour beaucoup de musiciens, un vrai génie de la percussion. A treize ans, il jouait déjà avec Marius Cultier.

FNicolas-JSchwarz-BartLe Bananier Bleu : Pourquoi avoir choisi d’enregistrer à New-York ?

Franck : New York est une ville qui vous fait sortir des tripes tout ce que vous avez. On s’y sent tout petit et en studio, quand vous savez que la veille il y avait à votre place Freddie Hubbard ou Bob Berg, vous n’avez que deux choix, ou bien abandonner tout de suite, ou bien donner tout ce que vous avez en vous. J’ai enregistré chez Joab, chez Deb’s, chez Cassin en Guadeloupe, dans le Sud de la France à Perles les Fontaines et Recall (les deux meilleurs en France pour le Jazz), à Polygone à Toulouse, dans les plus grands studios parisiens (Plus XXX). J’ai également enregistré des disques en Allemagne, en Belgique et à Londres. Mais je n’ai jamais eu un aussi bon son de trompette qu’à New York, et pour cause, on y retrouve les meilleurs ingénieurs du son du monde.

Le Bananier Bleu : Où peut-on se procurer tes disques ?

Franck : Malheureusement, actuellement, on ne peut trouver aucun de mes trois derniers disques car je cherche à les faire rentrer sous un gros label de Jazz ou un bon distributeur. [NDLR : Jazz Ka Philosophy est désormais disponible par exemple à la FNAC, ou bien en ligne sur BandCamp (voir le lien en haut de cette page)]

Le Bananier Bleu : En regardant en arrière, que de chemin parcouru depuis Maggnetick ! Comment vois-tu ton évolution musicale depuis cette période ?

Studio-3-Lonnie-PlaxicoFranck : Quand j’ai eu dix ans, mon père a décidé que je ferais de la trompette. Quelle heureuse idée il a eu ! Car j’ai aimé cet instrument comme s’il faisait partie de mon corps. J’ai travaillé chaque jour un peu plus et aujourd’hui, à la trentaine, la trompette commence tout juste à me rendre l’amour que je lui voue. J’ai vu des musiciens qui faisaient des progrès énormes en très peu de temps, d’autres qui stagnaient. Moi j’ai connu une évolution progressive, mais permanente. Dexter Gordon disait que la musique, c’est comme un arbre qui pousse en vous inéluctablement et occupe peu à peu tout votre être et votre âme. Je crois que c’est la vérité.

Studio-4Le Bananier Bleu : Question rituelle : qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?

Franck : J’écoute toujours Miles, Coltrane, Monk… mais j’écoute beaucoup de musiciens de la nouvelle génération comme Roy Hargrove, Ravi Coltrane, Mark Turner, Greg Osby ou Brad Meldhau. Je me sens proche d’eux car ils ont intégré tout l’héritage du Jazz classique, et ils apportent des horizons nouveaux au Jazz d’aujourd’hui.

Le Bananier Bleu : Et quels sont tes projets dans l’immédiat ?

Franck : Après la tournée avec Randy Weston et Kafé, je joue une semaine à Paris avec Alain Jean-Marie et son concept Biguine Réflections. Les Festivals de Jazz de Ramatuelle, Junas, Nice et Marciac sont en prévision. Mais le plus important pour moi, c’est de trouver un label ou un distributeur pour mes disques. Je mets tout en oeuvre pour faire tourner mes deux concepts musicaux : Kiss in Paris (le Jazz sur la chanson française) et Jazz-Ka Philosophy, musique 100% guadeloupéenne avec laquelle je souhaiterais bien faire le tour du monde pour faire connaître à la planète entière, les belles et riches couleurs du joli papillon qu’est la Guadeloupe.


Entretien réalisé le 18 décembre 2002

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