[Abracadabra in jazz] Trois perles : Fred Ho, Laïka Fatien, Bebo & Cigala
Tout d’abord l’œuvre musicale de Fred Ho, ou Fred Houn, ténor saxophoniste genre Coltrane, compositeur et arrangeur genre Ellington, et de fureur genre Mingus, dont la sensibilité traduit une vision du monde américain partagée par les afro-sino-latino américains. Il compose pour son orchestre, "The Asian American Art Ensemble", des pièces politiquement et socialement très marquées, très « black power ». Poèmes, textes, illustrent sa vision clairement définie par des titres d’albums tels que : "Tomorrow is now", "Turn pain into power", "We refused to be used and abused".
Pour l’aborder comme il le mérite, il faut passer par l’anglais absolument, comme il est nécessaire de comprendre les songs standards pour saisir les improvisations des grands comme Lester, Charlie, Billie, Coleman, et plus. Fred dit sur les situations sociales, raciales aux USA des poèmes chantés qui ont une lucidité de diamant. Il écrit des opéras tels que Warrior Sisters, et en écrit un sur Sun Ra après avoir visité les black panthers dans "All power to the people". Une retrouvaille du jazz des origines, du temps où il disait le vécu afro-américain et allait au-delà du divertissement artificiel où il est confiné aujourd’hui. Il est très moral que ce soit un américain d’origine chinoise qui fasse sa chose de toute cette douleur et peine des afro-américains, avec d’autant plus d’acuité qu’il a subi les préjugés contre les américains d’origine asiatique qui, comme tous les immigrés du nouveau monde, ont fait les USA.
On comprend que la démarche artistique de Fred Ho n’est pas gratuite et qu’elle s’ordonne sur les faits de l’histoire tragique de ce pays dont il est un citoyen en lutte et dont la conscience est tourmentée à tel point que la seule échappée est la mise en musique du tragique qui bien souvent peut être d’un sinistre comique.
Fred Ho un témoin et un peintre.
Autre belle perle à découvrir est celle que nous offre Laïka avec son premier album "Look at me now !" qui la hisse au rang des chanteuses de jazz de grande qualité. D’ascendance judéo-africano-espagnole Laïka chante les grandes compositions d’instrumentistes tels que Nicholas Payton, Abbey Lincoln, Joe Henderson, Wayne Shorter, pièces sur lesquelles elle place ses propres paroles et se permet de chanter du John Lennon et du Paul McCartney, et des cracks de Broadway tel que Frank Loesser.
Elle est déjà du monde sans frontières de la belle et grande musique de Jazz. Elle sera à l’Artchipel le 17 et 18 Décembre 2004, on l’espère.
Saluée comme une révélation de cette année longtemps attendue par des articles chaleureux dans Jazz Magazine, Jazzman, Vibrations, le Point, qui voient en elle l’espoir du chant jazz. Elle était déjà nourrie dans le berceau de cette musique avec ces sept années passées à chanter avec le grand orchestre de Claude Bolling. Le jazz, Laïka l’a dans le corps et l’âme. Elle trouve dans le jazz comme elle le dit "c’est la musique qui m’aide à vivre, à respirer". Ce qui est autre chez Laïka, c’est qu’elle puise dans le jazz même les éléments de création. Une perle venue du proche Orient.
Troisième perle qui vient de la rencontre de l’Espagne du Sud et de Cuba par la musique andalouse et celle du son et du boléro. Partage entre ces deux cultures transversales où l’histoire a fait une fusion des genres, où même la sémantique y perd son sévillan. Rencontre superlative entre le gitan chanteur Diego El Cigala et le pianiste cubain Bebo Valdes âgé de 85 ans, une encyclopédie de la musique cubaine qui est en elle-même fortement américaine.
C’est la beauté d’une relecture flamenca des standards latins.
Musique de nuit et de lune où l’émotion vient du tragique et de la passion. Chant couleur rouge.
Cet album intitulé "Lagrimas negras" dit toute la beauté du monde qui va des rivages du Guadalquivir à Séville aux bords du Malecon à la Havane.
Trois sublimes perles d’auteurs qui viennent du mélange de l’Asie, de l’Amérique et de l’Europe.