Jacques Coursil (1938 – 2020) – trompette
Biographie
Jacques Coursil est né en 1938 à Paris, de parents martiniquais nés à Fort de France. Études musicales, et autres, à Paris. En 1958-1961, Jacques Coursil voyage en Afrique de l’Ouest, précisément pendant la période de décolonisation. Il séjourne longuement à Dakar où il est accueilli dans l’entourage de Léopold Sédar Senghor, avant de finalement retourner en France où il enseigne la littérature et poursuit sa formation musicale.
En 1965, Malcolm X vient d’être assassiné. Coursil part pour les Etats-Unis où il restera dix ans. Il débarque à New York dans l’agitation des Civil Rights, l’avènement du free jazz (new thing), des happenings en art, des protest et des mouvements hippies. Pendant toutes ces années, il va avoir l’occasion de côtoyer et de travailler avec les plus grands musiciens américains tant de la scène du Jazz que celle de la musique contemporaine. Il va devenir l’élève du pianiste Jacky Byard et surtout celui du trompettiste Bill Dixon avec lequel il part finalement en tournée pour jouer en duo. Il étudie également l’harmonie et la composition sous la direction du compositeur Noel Da Costa et participera avec lui à de nombreux concerts en musique contemporaine. A cette époque, sa technique instrumentale est très solide et son imagination fuse tout azimut ; c’est, sans nul doute, un des meilleurs trompettistes de sa génération. Il s’associe souvent avec Alan Silva, Sunny Murray, Marion Brown, Frank Wright, Arthur Jones, avec lesquels il gravera en 1969 des plages qui sont désormais des classiques du genre, notamment Black Suite, et Way Ahead. On sait aujourd’hui que les musiciens de cette époque « glorious sixties » appartiennent au plus grand élan créatif de la musique de jazz depuis la révolution du Be bop.
Pendant ses années new-yorkaises dominées par la musique, la littérature, les arts et l’agitation politique, Jacques Coursil va découvrir quelque chose d’autre qui, selon lui, est tout aussi passionnant : la linguistique et la logique mathématique. Il va se détacher petit à petit de la scène musicale, enseigner de nouveau et retourner à l’université. Rentré en France, il décide de se consacrer à une carrière universitaire, ce qui l’emmène à soutenir deux thèses, l’une en Lettres (1977) et l’autre en Sciences (1992). Il enseignera en alternance la littérature et la linguistique théorique, d’abord en France, puis en Martinique, aux Etats-Unis à l’université de Cornell et enfin à l’université de Californie à Irvine. Ce cursus fait de lui une des voix les plus écoutées sur le corpus de Ferdinand de Saussure ou sur les théories générales de linguistique moderne, comme l’atteste la portée de ses articles et de son livre, La Fonction Muette du Langage, paru aux Éditions Ibis Rouge en 2000.
Pendant toute cette époque d’activités littéraires et scientifiques, la pratique de la musique ressemble pour Jacques Coursil à une rivière souterraine (ou à un laboratoire d’alchimiste). Il travaille en secret le souffle continu, les articulations, les « coups de langue » sans relâche jusqu’à ce que cette trompette qu’il aime se mette à chanter, à danser et à parler : obsession de clarté et d’émotion du timbre. Il y a du Clark Terry, du Jimmy Owens, du Hugh Masekela dans cette démarche: sans doute; les trompettistes de Jazz, Jacques Coursil les aime et les admire tous.
L’année 2005 marque le retour de Jacques Coursil à la musique avec l’opus intitulé “Minimal Brass” sorti sur le label new-yorkais de John Zorn, Tzadik : “La musique peut aussi être une rivière souterraine qu’on travaille sans relâche. Je ne suis pas revenu, elle était toujours là; elle a jailli, c’est tout.”. Projet salué par la critique pour son audace, sa singularité et sa musicalité.
En 2007, Jacques Coursil produit “Clameurs” : quatre livrets pour un oratorio contemporain. Quatre textes brûlants d’actualité qui parlent de notre histoire, de notre quotidien. “La musique de jazz se caractérise par l’inventivité instrumentale des musiciens. Armstrong réinvente le cornet, Lester Young, la manière de souffler dans un saxophone, Monk, la manière de toucher un piano, …, dans le but de délivrer une musique toujours nouvelle avec des timbres, des souffles ou des articulations jamais entendues. On peut toujours croire superficiellement qu’il s’agit dans le jazz de bien jouer une chanson, alors qu’il s’agit toujours d’un son, d’un toucher, d’un phrasé. “Clameurs” n’est pas du jazz, mais seul un musicien de jazz peut le jouer. Je ne trouve pas qu’il soit vain de classer les musiques et les musiciens ; par contre, je pense que c’est le rôle de la musique de déplacer, de mettre ces classements en désordre. Le “message” s’il y a n’est pas philosophique, mais poétique, c’est bien au dessus. La musique qui n’a que faire de la philosophie (sauf quand elle joue des chants religieux ou révolutionnaires et des marches militaires) absorbe la poétique tout entière (l’inverse étant également vrai). Il faut lire les poètes.” Les quatre suites de “Clameurs” restituent dans leur langue (français, créole, arabe) ces poètes du cri du monde : Frantz Fanon, Edouard Glissant, Monchouachi et Antar, le plus grand héros et poète du monde arabe. A l’heure où le slam avec Grand Corps Malade et Abd Al Malik triomphent sur les ondes et les scènes les plus vivantes, Jacques Coursil nous invite à écouter ces voix qui n’ont jamais cessé de se taire : “Je ne fais pas de musique pour un public déterminé – l’être humain est un animal musical. Je ne m’adresse pas à vous, je plante un arbre : libre à vous de grimper dessus et d’en manger les fruits, mais vous pouvez aussi passer à côté en parfaite indifférence. Les poètes ne sont pas des rhéteurs: ils disent le monde, c’est à vous de l’entendre”.
En 2010, Jacques Coursil fait paraître “Trails Of Tears“, qui puise ses racines dans l’histoire terrible de la déportation des indiens Cherokees. Au XIXe siècle, ils ont ainsi été forcés de quitter leur Georgie d’origine pour l’Oklahoma, dans des conditions dantesques qui seront fatales à nombre d’entre eux. Pour ce qui sera son dernier album, Jacques Coursil est entouré de deux formations selon les plages. “Cadences Libres” s’appuie sur la Martinique avec Jeff Baillard, José Zébina et Alex Bernard, et “Free Jazz Art” regroupe de vieux complices parmi lesquels Bobby Few, Sunny Murray ou encore Alan Silva. Jacques Coursil s’éteint le 26 juin 2020.
Autres informations
- Le site web de Jacques Coursil : http://www.coursil.com/