Retour sur le Carib’In Jazz

L’Olympia est fin prêt ! Le public s’installe après avoir traversé le hall au son des grenouilles. Une manière originale de nous faire pénétrer dans l’ambiance caribéenne. On se croirait aux Antilles, le soir, lorsque les grenouilles prennent possession de l’obscurité ! Un vrai clin d’œil local…Bien joué !

Nos hôtes nous accueillent avec simplicité et une grande émotion. La tragique actualité en Haïti est évoquée avec émotion par Philippe Lavil. Il n’y aura pas de minute de silence mais des mots. Des mots simples et vrais : « Que les magnifiques musiques de ce festival s’envolent vers Haïti pour qu’elle se sente soutenue et aimée ». Et pour accentuer cet hommage apparaît un invité exceptionnel : Beethova Obas, ce grand poète, qui le temps d’un morceau apaisera nos cœurs et nous plongera dans une grande sérénité. Plus tard, dans sa loge, je découvre un homme touché par cette invitation et qui remerciera avec chaleureusement les nombreuses manifestations de soutien envers Haïti. Il me confiera avec simplicité ses espoirs quant à la situation de son pays espérant que cette catastrophe permettra de voir naître une solidarité entre les hommes des deux hémisphères et qu’enfin ils réaliseront qu’ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Il le dit bien « Quand un malheur touche un peuple c’est le monde entier qui est touché. Nous avons une seule demeure, c’est la planète ! ». Un message plein d’amour et d’espoir, une belle leçon !

Le Carib’In Festival 2010 est lancé ! Et pour notre plus grand plaisir c’est Alain Jean-Marie avec « Biguine Réflexions » qui ouvre le bal. Entouré d’Éric Vinceno et de Jean-Claude Montredon, il nous offre un moment de pure beauté où s’entre mêlent profondeur de l’âme et légèreté de l’être. Le jazz, selon ce grand artiste, est né dans l’urgence de la survie. Il fallait alors trouver le salut. Et c’est cette quête qui permet d’aller plus loin. « Toutes les musiques ont besoin du jazz pour aller au fond d’elles-mêmes », et c’est donc bien ce qu’il compte faire en offrant à ces racines caribéennes cette autre dimension.

« Il s’agit d’exprimer quelque chose qui va aller vers la liberté d’expression et mieux encore vers l’expression de la liberté ». Sans pour autant négliger le fait, et il le précise bien, que bien que le Jazz soit la musique de la liberté, il ne peut se passer de certaines contraintes ! Et que c’est en épousant la rigueur que l’on peut prétendre la transcender ! Et cela rejoint son choix d’inviter Florence Pajot, une magnifique danseuse contemporaine, pour célébrer son morceau « Haïti ». Cette danse s’inscrit dans le désir d’Alain Jean-Marie d’aller plus loin. Si pour lui le jazz va plus loin « en dedans », la danse permet ce mouvement vers l’extérieur, elle permet de repousser les limites et d’offrir une fois encore une dimension plus vaste à son œuvre. Une chose est sûre, la force de cette chorégraphie a su honorer la force et le courage du peuple Haïtien.

Autre intervention surprenante de ce concert, celle de Tangora qui nous éblouira avec son interprétation de « Belia Africa » un morceau de Jean-Claude Montredon. Émue, elle l’est certainement, car c’est la première fois qu’elle interprète ce morceau, sur lequel elle a écrit des paroles en français en hommage à son mari, Claude Sommier, décédé en Juillet dernier. Mais l’émotion qu’elle nous offre n’a pas le poids de la tristesse, c’est un magnifique hymne à la vie. Un hommage plein d’amour et de cœur, aux paroles pleines de vie et de souvenirs.

On a déjà évoqué plusieurs fois cette rencontre entre le Jazz et la Caraïbe, mais cette fois c’est d’une autre rencontre qu’il s’agit. Thierry Fanfant nous emmène avec le Trio Sol à la rencontre du Flamenco, accompagné de Jean-Baptiste Marino à la guitare et de Miguel Sanchez aux percussions. Je dois admettre que cette union est plus que troublante ! Imaginez la sensualité de la musique Antillaise aux prises avec la passion du flamenco…Une symbiose magnifique, pleine de « douceur charnelle ». Les musiciens l’exprimeront bien : « Ce n’est pas un collage entre deux cultures ou deux musiques mais bien une rencontre qui ne cesse d’évoluer », avec au centre le « cajon » comme repère et lien entre ces deux mondes.

Nathalie Fanfant nous l’a avoué, elle a eu un coup de cœur ! Et ce coup de cœur n’est autre que Meddy Gerville, pianiste de génie de la Réunion, et croyez-moi, il suffit d’un instant pour que l’on comprenne ce choix ! Michel Alibo lui-même me confiera que la note de Meddy est celle qui manquait à ce festival « caribéen ». « On ne peut pas ne pas penser à la Réunion, cela permet de faire évoluer les échanges ». Sa musique est vraie, et la simplicité apparente nous transporte. Jazz « éclaboussé » de couleurs locales où la créolité est toujours présente et où la poésie nous enveloppe grâce à ses mots. Il chante…Sa voix donne des ailes et ses mots nous bercent. Une identité réunionnaise se révèle sous nos yeux et l’on ne peut que s’incliner en toute humilité devant tant de cœur et de talent.

Place maintenant au côté « urbain » de ce festival. Et oui, bien que ce festival soit celui de la Caraïbe, il n’empêche que certains réussissent avec brio à associer ville et palmiers ! C’est l’exemple de Chyco Siméon qui, le temps de quelques morceaux, nous offrira un cocktail de saveurs. On le compare souvent à Marcus Miller, dont il est très proche, mais son parcours est autre. Et c’est ce monde qu’il nous fait partager. Un monde caribéen et Métropolitain où s’entremêlent puissance et souplesse, violence et douceur. À peine nous habituons nous à la chaleur tropicale que la ville nous bouscule et nous transmet sa rage. Un parfait exemple que rien n’est jamais figé ! À noter, la sortie de son troisième album, à son image… Un album où l’on découvre avec émotion ses origines sans jamais cesser de ressentir la force de son parcours. Bravo !

Elle est belle, ou peut-être devrais-je dire ravissante. Son charme occupe toute la scène, jusqu’à ce que sa voix s’élève, et là c’est un pur bonheur. Tricia Evy nous plonge dans le passé avec fraîcheur ! On se rend compte que la musique nous permet de rester jeune ! Et soudain, elle entame un morceau en Créole « …….. ». La sensation est incroyable. On est au pays ! Ce n’est plus seulement sa voix mais tout son être qui redonne à cette langue et à cette musique sa beauté naturelle. L’émotion nous arrive par vagues légères et en même temps si profondes. Les racines, la pureté, la légèreté et le talent ! Tout y est !

Et ce n’est pas fini… La magie de ce festival continue d’opérer ! les groupes s’enchaînent et se distinguent de par leurs personnalités et originalités.

Comment ne pas tomber sous le charme de Jacques Schwarz-Bart et de son groupe. Sa musique nous rappelle avec ferveur que la Terre peut être légère… Que le Gwoka, tout en nous ancrant, nous permet de nous « élever » en toute liberté. Sa formation est jeune et puissante, à l’image de ses compositions qui allient jeunesse et maturité. Son amour de la musique est tel qu’on le ressent à chaque instant et qu’il nous emplit de bonheur.

Et puis arrive Ultramarine

18 ans plus tard, ils sont là devant nous ! Sommes nous les seuls à avoir changé !C’est une explosion de musique et d’émotion. Les morceaux des albums que nous connaissons si bien raisonnent en nous avec une force incroyable. Et nous écoutons « Malice » de Mokhtar Samba et « Le Cheval Noir » de Nguyen Le le cœur ouvert… Le temps n’existe plus… Je me souviens de leurs concerts comme si c’était hier. Cette énergie, cette union aux influences multiples. Et nous voilà tous là de nouveau… Je reconnais dans la salle des visages familiers venus, tout comme moi, pour être témoin de ces retrouvailles et profiter de cette musique qui ne nous a jamais vraiment quittés. Nguyen Le le dira avec simplicité. « C’était un moment de joie intérieure, mais aussi extérieure grâce au public ». un public qu’ils reconnaissent comme le précise Mokhtar Samba. Et oui ! Nous sommes tous là des deux côtés de la scène pour revivre une époque magique. Riches de leurs propres expériences, ils se retrouvent et continuent leur chemin. Un chemin qui n’a jamais cessé d’avancer, car ensembles ou séparés, ils ne se sont jamais vraiment quittés non plus ! « Tout Bon » comme le dit Étienne M’Bappe.

Voilà, ainsi s’achève ce festival. Nathalie Fanfant me fait le plaisir de partager avec moi sa joie. Pour elle c’est une réussite. Qui oserait dire le contraire ! Nous venons de passer deux jours en compagnie de musiciens exceptionnels et ce dans une ambiance enthousiaste et sereine. Peut-être est-ce alors le moment d’évoquer la logistique ! On le sait déjà, mais il est important de le rappeler. Un festival ne peut offrir ces magnifiques moments que si l’organisation est des plus pointues. Et c’est dans ce sens que j’aimerais remercier Nathalie. L’organisation a nécessité une année de dur labeur et plus de quarante personnes pour que tous, musiciens comme spectateurs, profitent de cet événement en toute tranquillité. Nathalie et ses acolytes ont non seulement choisi des artistes de talents, mais ils ont tout fait pour qu’ils puissent offrir le meilleur d’eux-mêmes !

Alors comment ne pas attendre avec impatience la 3ème édition du Carib’in Festival.

Hélène Mer – février 2010

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