Le 30 Mai 2004, le monstre sacré de la Salsa, Eddie Palmieri, s’est produit pour la première fois à LaKasa. Nous l’avons rencontré quelques heures avant son concert, juste après la balance.
Le Bananier Bleu : Pour le public guadeloupéen, d’abord quelques mots sur vos débuts musicaux…
Eddie Palmieri : Hé bien, en fait j’ai découvert la musique enfant alors que je vivais à Harlem. Mon frère Charlie, qui était de 9 ans mon aîné fut celui qui, le premier, m’a donné envie de jouer. Ce fut lui ma source d’inspiration première. Donc j’ai commencé à jouer avec lui, et puis après j’ai continué avec l’orchestre de mon oncle. A huit ans, j’étais déjà au piano. A onze ans, j’ai ensuite pris des cours avec le professeur de musique de mon frère qui avait son étude au Carnegie Hall. A l’époque, j’ai d’abord démarré sur des rythmes typiquement portoricains, mais j’ai également eu une formation de musique classique, tout en continuant toujours la musique populaire.
Le Bananier Bleu : Une caractéristique de votre musique est la prédominance du rythme, celui-ci étant soutenu en particulier par les percussions afro-cubaines, les soufflants, et votre manière tonique de jouer du piano. On vous appelle d’ailleurs « el que rumpe las teclas » (celui qui casse les touches)…
EP :(Rires). Ah, vous savez, la musique que je joue prend ses origines dans les années cinquante à Cuba. Elle a ensuite eu une dimension afro-caribéenne notamment avec les apports portoricains qui ont encore amené du mouvement, et puis il y a eu aussi les percussions d’origine africaine. Après je suis entré dans le monde du latin jazz, mais j’ai toujours privilégié une musique dansante, car sachez le bien, on peut aussi danser le latin jazz ! Quant à ma façon de jouer du piano, elle me vient de mon frère Charlie, mais aussi des pianistes cubains des années cinquante et soixante !
Le Bananier Bleu : Vous avez amené en particulier une section de cuivres basée sur des trombones, en lieu et place des trompettes ou des violons.
EP : Oui, cela c’était à l’époque de la Charanga et de la Pachanga cubaines. Les trombones ont permis de donner à ces musiques un son particulier et distinct jusqu’à alors inconnu, et surtout beaucoup plus de puissance. Et le public a beaucoup apprécié.
Le Bananier Bleu : Votre parcours musical est un aller retour permanent entre la salsa et le latin jazz. Comment expliquer cela ?
EP : Hé bien, c’est parce que c’est la même structure que j’utilise pour les deux. Cette structure est destinée à une chose : faire danser ! Pour la salsa, elle peut par exemple être valorisée par un chanteur. Pour le latin jazz, l’accent sera plus mis sur les harmonies ou les mélodies. Et avec l’ajout des percussions, l’ensemble prend encore du relief, et tout cela pour mieux danser ! En fait, tout ce que j’enregistre est destiné à faire danser ! Tout cela repose donc sur une sorte de « Mambo instrumental ».
Le Bananier Bleu : Finalement, quelle est votre définition du latin jazz ?
EP : Pour moi, c’est la rencontre, voire la fusion du jazz avec les percussions et les patrons (ndlr : au sens, « patrons » comme en couture…) rythmiques afro cubains qui sont les plus excitants. On arrive à un niveau d’harmonie qui donne une saveur nouvelle au jazz ! Ceci étant, il y a plusieurs façons de jouer le latin jazz, mais en ce qui me concerne, je le joue toujours pour faire danser.
Le Bananier Bleu : Quels sont les principaux musiciens de jazz qui ont influencé votre musique ?
EP. : Oh, je peux citer en premier lieu Dizzie Gillespie qui avec le percussionniste cubain Chano Pozo et des morceaux comme « Manteca » dans les années 1947-48, m’a beaucoup marqué. Et puis après il y a aussi eu l’influence de différents artistes parmi lesquels les percussionnistes Mongo Santamaria, Cal Tjader, Willie Bobo, Tito Puente bien sûr et aussi Machito. Et puis, il y a eu aussi Tito Rodriguez au début avec la forme de latin jazz connue comme étant le jazz afro-cubain. Tous, ils ont fait un travail d’importance.
Le Bananier Bleu : Que représente pour vous la rencontre avec Tito Puente en 2000 sur le disque « Obra Maestra »?
EP : Hé bien, mon frère Charlie fut le pianiste de Tito Puente pendant quelques années, et ils ont enregistré plusieurs types de latin jazz, avec ou sans vibraphone, dans des petits groupes ou au contraire dans de grands orchestres. Ils sont restés les meilleurs amis tout au long de leurs vies. Je n’avais jusqu’ici jamais enregistré avec Tito Puente. Le moment était donc arrivé pour nous de proposer cette « Obra Maestra ». Et ce disque fut une réussite, mais suite à son opération du fait de problèmes cardiaques, Tito est mort dans les deux semaines qui ont suivi l’enregistrement du disque. Et nous n’avons pas eu le temps de voyager et de jouer ensemble pour la promotion du disque…
Le Bananier Bleu : Comment décririez-vous vos deux dernières productions (La Perfecta II, 2002 ; Ritmo caliente, 2003) ?
EP : Oh, elles représentent une compilation où je redonne vie au son et à certaines compositions de la Perfecta originale, ainsi qu’au numéro des deux trombonistes de l’époque qui sont morts aujourd’hui, Barry Rogers et José Rodriguez. La sortie de ces disques a été un succès, et j’ai été très content de l’accueil qu’ils ont reçu en particulier dans toute l’Europe. Et quand nous allons jouer en Europe, ce son de la Perfecta II plaît tout particulièrement, comme ici à la Guadeloupe.
Le Bananier Bleu : Vous avez un parcours musical impressionnant. Plus de 40 années de musique, une discographie qui comporte au moins 35 albums, pas moins de 7 Grammy Awards ! Vous êtes l’un des derniers ambassadeurs importants du latin jazz. Que souhaiteriez-vous transmettre à la nouvelle génération de musiciens de Latin Jazz, ceux qui vous appellent « Papa » ?
(Rires). Vous savez, j’apprécie beaucoup tout le bien qu’ils pensent de moi, mais à l’inverse, j’ai beaucoup de respect, de confiance et d’orgueil pour ce qu’ils font. En ce qui concerne les pianistes en particulier, j’ai un immense respect pour des gens comme Chucho Valdes, Michel Camilo, Gonzalito Rubalcaba, Danilo Perez, ou Hilton Ruiz. J’ai joué avec plusieurs d’entre eux, et certains sont de vrais amis. Peut-être qu’un jour il y aura des enregistrements communs… En tout cas, eux aussi ouvrent la voie pour les plus jeunes qui viennent derrière.
Jean-Michel Risède