Lorsque je me suis installé en Guadeloupe, ce qui remonte déjà à « un certain temps », je me souviens qu’en voiture je cherchais sur l’autoradio une fréquence diffusant autre chose que les NRJ et Skyrock qui encombraient la bande FM (et l’encombrent toujours d’ailleurs, mais bon…). Un jour je suis tombé sur une radio qui, à peu de choses près, diffusait le contenu de ma discothèque personnelle jazz. En boucle et sans pub. Incroyable. C’est comme ça que j’ai connu Radio Horizon, puis appris plus tard que son initiateur n’était autre qu’un certain Luc Michaux-Vignes. Si l’on devait donner un exemple pédagogique du mélomane, passionné, érudit, mais aussi jouisseur et hédoniste, je citerais sans hésiter son nom. On pouvait éventuellement ne pas être toujours d’accord avec lui, mais c’était tout l’intérêt de discuter, et de profiter de sa connaissance apparemment sans limite, de la musique et en particulier du jazz. Peu de temps après avoir lancé le Bananier bleu, nous avons un jour reçu un e-mail de Luc. Radio Horizon avait été contraint de fermer et Luc cherchait de nouveaux médias pour parler de jazz. J’ai d’abord été surpris, intimidé aussi – Luc était « la » référence du jazz en Guadeloupe, abasourdi qu’il connaisse le Bananier bleu – nous avions à tout casser un an d’existence – et flatté qu’il nous contacte. « Je vous propose d’écrire une chronique régulière sur votre site, et je n’y pose qu’une seule condition, avoir carte blanche. » C’était sa proposition. Et nous l’avons acceptée. Luc a publié de nombreux textes sous sa rubrique « Abracadabra in jazz » pendant cinq ans, de 2002 à 2007. Je crois que ce sont les articles qui ont le plus porté à débat sur le site, et j’en suis très fier. Ils sont toujours tous en ligne, sous le nom de sa rubrique, et je vous invite à les relire, ils sont bourrés d’idées, d’information, de musique, de controverses… Par ailleurs, les émissions radiophoniques de Luc ne sont pas perdues, elles ont été intelligemment mises en lignes sur le compte de Luc lui-même – sous le nom d’Ublabadu – sur le site archives.org (voir le lien plus bas). On y retrouve ses écoutes partagées – un concept repris et adapté par son fils Gustav dans le cadre de la médiathèque Caraïbe d’ailleurs, bon sang ne saurait mentir – et ses interviews. C’était toujours un plaisir de croiser Luc au détour d’un concert de jazz – qu’il manquait très rarement, et sa voix va certainement manquer à la musique en Guadeloupe. Deux souvenirs me reviennent parmi d’autres. Je le revois, dialoguer avec Quincy Troupe, le biographe de Miles, sur la scène du Centre Culturel Sonis. Il l’avait fait venir en Guadeloupe à l’occasion d’une soirée thématique, rien que ça. Une autre fois, au “matin” (il devait être neuf heures…), nous avions rendez-vous au Midway pour rencontrer Joe Zawinul qui donnait un concert au Centre des Arts. Arrivé en avance, je m’étais retrouvé au bar, avec Luc et Joe (does anyone just imagine how I was feeling?), et il me semble également Claude Kiavué, à deviser à bâtons rompus autour d’un café, en attendant la presse… Luc, je te souhaite de reposer en paix auprès d’un aréopage de musiciens disparus, dont la population augmente de manière un peu inquiétante ces derniers mois…
Sur archives.org : https://archive.org/details/@aluku