[Abracadabra in jazz] La culture indigente et indigeste

Il semblerait que nous sommes affectés d’un mal profond en ce qui concerne la référence culturelle.

On pourrait le comprendre à travers les péripéties de notre histoire culturelle partagée entre l’aliénation que secrète le système colonial et l’authenticité identitaire. Naître et vivre vrai dans cet environnement culturel, requiert une lucidité sans faille vis à vis de ce qu’on acquiert du monde.

Cette démarche individuelle est mise à mal par l’enfermement au discours réducteur de la société opérant sans distinction son pouvoir dominateur.

C’est ou bien la soumission au modèle régnant ou bien la marginalisation destructrice du sujet.

Dans ce cadre, faire émerger une pensée culturelle libre et ouverte relève de la gageure et peu de nos citoyens y arrivent. Il est plus facile d’être conformiste que libre et de fait rebelle au consensus officiel.

Notre société actuelle, qui aurait pourtant la possibilité de se faire une tête bien faite au lieu d’une tête bien pleine, se soucie peu de ce défi.

Défi qui, pour un pays où la loi et l’ordre dominent, est primordial pour assurer une pensée libre et non conforme aux normes prescrites. Nous parlons ici culture et donc de la critique, de la vision, de l’analyse et du jugement qui reposent sur des critères esthétiques.

Il faut reconnaître qu’à ce jour et pour plusieurs générations actuelles il y a une grande difficulté à trier le grain de l’ivraie. Cela conduit à une erreur de jugement sur la qualité des produits culturels, que ce soit en musique, théâtre, danse ou littérature.

Du fait de notre production locale réduite tant au niveau des acteurs que des consommateurs nous nous trouvons en difficulté de relation avec les œuvres car nous absorbons le tout sans discernement. Cette problématique de la consommation culturelle se révèle au plus haut point réductrice au niveau qualitatif et au niveau quantitatif.

En musique par exemple, il nous est proposé, et nous l’acceptons sans discernement, des concerts d’artistes peu représentatifs, et qui sont secondaires par rapport à ce qu’il faudrait à un public peu connaisseur et qui aspire à une pédagogie de l’art.

Un mélange hétéroclite ne peut satisfaire, et si au marché on peut ajouter un agouba pour faire le poids ou le bouquet, en matière de musique c’est la catastrophe. Ainsi tel spectacle où l’excellence de la première partie se mesurait à l’indigence ou la facilité de la seconde provoquant un discret départ des amateurs avertis.

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.

Tel concert récent d’un guitariste virtuose faisait salle comble mais était très loin de combler notre attente musicale car il ne s’agissait que d’un récitant de formules. Comme le disait lapidairement Lester Young à Joe Jones batteur opulent techniquement, “Lady Jones, you are playing a lot of notes but what is your story”. Eh oui ? Que dis-tu ?

Le public rassasié de ces formules se trouve comme au prisunic devant un étalage où tous les produits sont formatés mais peu disant culturellement. Si on souhaite lui montrer la qualité ce n’est pas ainsi qu’on en prend le chemin.

Que les entreprises privées, et Dieu sait qu’il y a pléthore hétéroclite sur le marché, jouent leurs billes, on ne peut rien critiquer car après tout, c’est leur fric même si leur démarche ne procède pas d’une valorisation des esprits.

Mais quand il s’agit des entités qui relèvent des fonds culturels publics dont le cahier des charges est culturellement bien défini, on ne peut que dire non et stop à vendre la culture comme de la marchandise. Pour cela il y a des marchés publics.

Car les fonds en question appartiennent aux citoyens qui, compte tenu de notre histoire inachevée, méritent une démarche pédagogique et une qualité artistique valorisante. Il serait temps que les décideurs culturels de nos entités collectives se refusent à aider ce qui n’est que pur commerce aux dépens des citoyens.

Que se fasse ce qui ne dépend pas de l’argent public, donc l’entreprise privée, pour que ce dévoiement et cette fraude culturelle cesse et que ces lieux culturels existants soient à la hauteur de leurs rôles.

Il serait fastidieux d’énumérer les erreurs et les escroqueries culturelles que nous avons vécues de puis des décennies ici et là aux centres culturels. Et que l’on ne nous dise pas que le public était satisfait. C’est trop facile et flatter les goûts non achevés du public, c’est donner raison à ceux qui se sentent responsables d’eux comme des consommateurs béats et corvéables à merci. La médiocrité est toujours réductrice alors que la qualité est toujours productrice du bon goût car laissée libre de juger.

Pour l’art, la loi de la majorité est un artifice dangereux, car au fond il implique le mépris de l’autre qui ne saurait penser par lui-même. Il est temps de chasser les marchands du temple et Dieu sait qu’il y en a, charlatans en plus.

Et pourquoi le choix d’une culture intelligente et digeste devrait céder le pas à une culture indigente et indigeste ? Il n’y a pas de raison !

Il y a certains concerts, festivals et spectacles qui sont un crime contre la Guadeloupe. Et ce qui est terrible c’est que l’argent public y a contribué. Horreur !

Quand on fait le tour des institutions culturelles, médiathèques, centres culturels qui devraient dispenser la qualité, il est décevant de voir la faible qualité des spectacles publics à croire que toutes les graines semées n’ont pas produit de fruits savoureux. Une salle de spectacle culturelle ne doit pas se réclamer du principe d’une marchandise à vendre.

Il y a une dichotomie entre ce qui est offert gratuitement par les collectivités dont c’est la mission et ce qui est proposé par les lieux de spectacles subventionnés. A croire qu’il y a un cocu et un tricheur. Il y a comme un défaut d’adéquation et il y a longtemps que cela dure.

Le Centre des Arts suit une courbe de plus et une autre de moins, un coup superbe et un coup raté ; ça n’arrange pas la moyenne. L’Artchipel tire son épingle du jeu, mais souffre de l’exiguïté de sa salle et de sa distance par rapport au bassin de population principal. Les nouvelles salles, le Moule, le Lamentin, ont de l’ambition mais pas encore assez de moyens. Les festivals eux, sont fait de plus et de moins, et les programmes sont souvent incohérents et peu attrayants considérées la richesse culturelle disponible de la Caraïbe et de l’Amérique du Nord et du Sud.

Par exemple quelle était la dernière proposition brésilienne, quelle que soit la discipline?

Et pourtant ? L’Amérique du Nord, l’Europe, l’Afrique, l’Asie fourmillent d’artistes dont la qualité ouvrirait nos esprits car ils sont dans la même donne socio-historique que le nôtre.

Concordance et Alternance sont les cordes de résonance dont il faut jouer.

Une étiquette ne suffit pas il faut que la matière soit riche. Faire appel aux artistes locaux est plus que nécessaire mais la prise en main doit être réconfortante et respectueuse.

Faire venir à grand frais un artiste même célèbre plus de trois fois est une aberration comme celle de la grenouille qui veut être plus grosse que le bœuf.

Il y a tant d’artistes d’ailleurs qui correspondraient aux recherches non encore accouchées de nos artistes. Séminaires, résidences, séjours culturels peaufineraient la sensibilité artistique de nos auteurs curieux et qui se sentent hors-courant.

Des assises de la culture dispensée sont à l’ordre du jour. Le rôle des médias est hyper important.

Abracadabra in Jazz - Luc Michaux-Vignes

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