[Abracadabra in jazz] Chano Pozo, ou l’éclipse Yoruba à Paris

Cuba, le Brésil, Haïti, Jamaïque et d’autres terres afro-américaines ne peuvent être comprises musicalement que si on prend en compte leur élément religieux plus particulièrement l’existence en leur sein des dieux du panthéon Yoruba.

Il faut pour y voir clair lire l’ouvrage de Robert Farris Thompson “L’éclair primordial” qui démontre l’existence en milieu afro-américain des divinités ouest-africaines. Trop souvent le curieux occident avec les meilleures intentions du monde n’a pu percevoir cette dimension, enfermé qu’il est dans sa vision du monde par son judéo-christianisme.

Chano Pozo, tel Elegua, dieu de la communication, a favorisé la jonction entre la musique afro-cubaine et le jazz dans la deuxième moitié des années quarante. Son rôle fondamental, maintenant de plus en plus reconnu, a contribué à réunir les branches de la grande musique afro-américaine dispersées par l’histoire funeste de la colonisation. Tel un “Envoyé” il sera le détonateur qui fera éclater à Cuba et à New York la dynamite si longtemps enfouie et contrainte à exister dans “l’ombre coupable” des ghettos.

Cette évidence comme dirait Monk, est reconnue étrangement ce mois de juin 2002 à l’Opéra Comique de Paris par une comédie musicale conçue par Jérôme Savary intitulée sobrement “Chano Pozo”.

J’ai pu par un divin hasard (Yoruba ?) assister à la première de ce spectacle le mois dernier à Paris.

Points forts de l’événement très parisien qui a été extraordinairement bien médiatisé : très bonne mise en scène, excellente troupe (une trentaine de cubains), musique cubaine dirigée par le pianiste cubano-parisien Alfredo Rodriguez et reprenant les compositions de Chano avec verve, décors évocateurs de la Havane fortement actualisés, livret écrit d’après quelques moments forts de la vie mouvementée de Chano à la Havane et à New York.

L’œuvre qui introduit à la connaissance d’un monde musical cubain (plutôt ignoré par l’histoire car ne correspondant pas aux archétypes de la société bourgeoise bien-pensante et consommatrice de biens culturels formatés), curieusement se veut pédagogique.

Point faible : l’évocation de cette personnalité hors du commun reste terriblement superficielle à l’égal d’une carte postale du Malecon qui se voudrait symbolique de Cuba. Tout Chano version Folies Bergères. Tous les clichés exotiques. Beaucoup de coup de reins et du cul.

Il se peut que les approches culturelles de la société occidentale se satisfaisant naturellement d’un exotisme facile et lénifiant puissent néanmoins faire naître chez les abonnés et spectateurs de l’Opéra Comique l’envie d’en savoir plus sur ce personnage hors-norme. Souhaitons-le !

Bon en ce qui nous concerne pour savoir qui était Chano, recommandons la lecture de “Caliente”, une histoire du latin jazz par Luc Delannoy et surtout le livre de Dizzy Gillespie “To be bop or not to be bop”.

Pour l’écoute : les trois CD récemment produits par Jordi Pujol chez TUMBAO présentant la vie musicale de Chano à Cuba et ailleurs (Usa, Europe).

De cette expérience et aventure parisienne en territoire peu orthodoxe il faut retenir l’idée suivante : l’ethnocentrisme culturel occidental trouvera toujours l’opportunité séduisante d’accomplir son impérieuse anthropophagie. Manger l’autre pour le posséder c’est toute l’idée. Il en fut ainsi pour l’art nègre (voir le cubisme) pour le jazz, etc. Accordons tout de même une compréhension solidaire toute caribéenne à cette entreprise qui aura trouvé chez la victime acculée au désespoir économique le soutien logistique, humain et culturel et se livrant en plus avec délices à la dégustation.

Nous réalisons l’apport officiel du ministère de la Culture cubaine, du ministère des transports et du ministère de l’Industrie (Havana Club) à cette opération partagée avec les officiels culturels français qui là s’offrent à bon compte une bonne conscience tiers-mondiste de choix ; Cuba fait feu de tout bois. Compay Segundo, salsa, et même Chano maintenant. Les temps sont durs. Il faut comprendre la nécessité actuelle de l’île du lézard vert.

Mais ne sors pas Chano qui veut ! Il faut pouvoir le faire et Jérôme Savary n’a réussi que l’élégance de la forme. Pour le fond Chano reste encore dans l’ombre. C’est mieux ainsi. Pour l’instant la signifiante Chano ne fait pas partie des impératifs culturels de l’occident. L’essence est encore trop forte pour les narines délicates et suaves.

Respect pour les orishas !

Hasta luego, compadre. Un saludo de Luco !

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