[Abracadabra in jazz] Chet is not too far away from shit which means dope

“The Chet Baker Story” par James Gavin est un des rares livres décapant sur la vie dramatique des musiciens et plus précisément sur ce musicien torturé par son impossibilité à être. Livre pour l’instant en anglais, qui aborde le tragique et qui sans le dire aborde une question rarement posée : et si l’héroïne avait été autorisée légalement soit en vente libre ou en pharmacie, est-ce que Chet serait mort ? S’il en avait été ainsi, Billie, Charlie, pour ne citer que les plus géniaux auraient pu donner au monde encore plus de beauté musicale car ils auraient écarté de leurs vies l’angoisse du manque et la recherche dangereuse de la drogue. Ce n’est pas la drogue qui les a tués mais son illégalité qui rend la rend impure et non dosée.

Les statistiques les plus fiables révèlent que les drogués les plus importants se trouvent dans le milieu médical et qu’ils n’en meurent pas car la substance est disponible et est calibrée. D’ailleurs l’opium qui est consommée normalement en Asie laisse en vie ses adeptes. Sans faire acte de prosélytisme et d’indulgence pour la drogue il faut comprendre qu’elle est nécessaire à l’équilibre psychique de certains musiciens de jazz qui l’utilisent pour combler un vide intérieur. C’était le cas de Chet Baker pour qui cette substance, l’héroïne, était un médicament pour exister dans un monde dont il avait peur.

Une autre substance, l’alcool, joue ce rôle dans nos sociétés occidentales, rôle social qui ne pose pas de réaction morale et pourtant il est aussi destructeur que l’héroïne ; Notre société est partiale quand il s’agit de substances venant du tiers-monde et très permissive quand il s’agit de substances proches de sa culture mais tout aussi nocives. Préjugé dont ont souffert beaucoup de jazzmen et qui les a menés sur les rives dangereuses de la marginalité.

Le milieu, les conditions, les inégalités, les injustices, tels sont les murs qui emprisonnent les musiciens et qui vont à l’encontre de la liberté créatrice qui se veut être dans l’instant et qui se doit d’installer une distance entre soi et le public sous peine de facilité. Le jazz est un art difficile et cruel et on ne revient pas intact de cette quête du feu. Les dieux sont parfois exigeants et leur fréquentation brûle l’âme. L’usage de la drogue aide à la distance et aussi à la pratique détachée du discours musical.

John Gavin a le mérite de ne pas taire ce marché de dupes car le prix à payer est la dépendance. Cette dépendance qui dit un impossible gratuit devient l’enfer du musicien du fait des conditions de la drogue dans notre société qui n’est disponible que par des voies interdites. Chemins parsemés d’embûches où l’impureté du produit, sa rareté et son prix, son usage possible uniquement dans des lieux à risques où tournent les vautours de dealers, tout cela empoisonne la vie du musicien obsédé par la nécessaire dose ; comment, où, et quand et à quel prix ? Existence tragique et épouvantable surtout quand la souffrance physiologique et psychologique du manque monte en puissance.

Comment ne pas s’interroger sur la politique de santé qui octroierait aux musiciens prisonniers des substances interdites des produits constants en qualité, bon marché et disponibles en lieu sûr. Imaginons les souffrances épargnées à nos musiciens favoris.

Mais au-delà de ce qui ressemble à une utopie, constatons alors que le jazz demeure encore pour notre société une musique de ghetto pour nègres dégénérés où les musiciens blancs ou noirs sont traités comme des parias que l’on pousse à tomber dans la déchéance. La vilenie de notre société se voit dans ce miroir. Vouer à Thanatos la meilleure partie d’elle-même.
C’est pourquoi pour revenir au livre de James Gavin sur Chet il est important de comprendre le musicien et de ne jamais séparer sa vie de son expression artistique. Particulièrement quand il s’agit d’artistes tels que Chet, Charlie, Billie et de milliers d’autres, tant ici qu’ailleurs, pour qui la vie de tous les jours est un enfer, qu’ils l’ait créé ou pas. C’est de cet enfer et impossibilité à vivre qu’ils peuvent nous dire tout sur le tragique existentiel qui est le nôtre.

La biographie de James Gavin a le mérite de dire les choses le plus crûment possible et de ne rien dissimuler de la vie tragique de ce héros moderne pour qui le jazz était la seule façon possible pour lui de vivre aux USA ou en Europe, et pour qui les idéaux de notre société étaient inacceptables, les voyant comme des hypocrisies d’un monde de rapaces et d’abrutis.

Seule la musique était le paradis.

Disons pour ne pas cacher la vérité, ce qui serait trahir Chet, qu’il était menteur, voleur, dénonciateur, absolument indigne de confiance, et sur qui on ne pouvait pas compter que l’on soit son ami ou son amante. Le point bleu, c’est qu’il était un extraordinaire trompettiste constamment livrant son âme et son cœur à tous avec une totale impudeur. Son chant était un hymne à la compassion et au tragique de l’existence humaine. Toujours à ce jour méconnu et sous-estimé, bien plus rayonnant que l’on dit malgré l’anathème de musicien maudit jeté sur lui.

Disques prescrits :

Chet Baker sings sur Pacific records
Chet Baker with fifty italian strings sur Jazzland
Chet Baker et Paul Bley : Diane sur Steeple Chase
Chet Baker : Embraceable you sur Pacific Jazz
Chet Baker et Gerry Mulligan sur Pacific Jazz

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