Odyssey, nouvel avatar de Soné Ka La par Jacques Schwarz-Bart

Odyssey

Odyssey est la troisième exploration personnelle de Jacques Schwarz-Bart du mariage entre gwoka et jazz, et la suite revendiquée de Soné Ka La sorti en 2006. On y retrouve Sonny Troupé qui y tient le ka comme sur les deux opus précédents, et le reste de l’équipe est « nouveau » dans ce concept, mais pas autour de Jacques car ces musiciens font partie régulièrement de son entourage. Jacques les a pour la plupart vus grandir et devenir les virtuoses qu’ils sont aujourd’hui (Grégory Privat, Arnaud Dolmen). Reggie Washington est aussi un vieux complice, dont la collaboration remonte au RH Factor du regretté Roy Hargrove, mais qui avait également participé au projet Jazz Racine Haiti. Finalement, la nouvelle touche arrive avec l’une des jeunes sensations vocales jazz, made in Guadeloupe, et déjà reconnue sur la scène internationale, la chanteuse Malika Tirolien. Rencontre.


Quinze ans après le premier volume, Odyssey est donc un album très attendu. Qu’est-ce qui a évolué dans ta vision du ka jazz depuis Soné Ka La ?

Sone Kala n’était que le premier chapitre d’un concept destiné à se développer sur de nombreux disques tant que j’en aurai la force et l’inspiration. Ce concept implique une approche en contrepoint des instruments de la section rythmique, une harmonie impressionniste moderne et un équilibre entre le simple et le complexe.

Odyssey est la somme de toutes mes expériences, à la fois comme concepteur, compositeur, joueur et leader d’un groupe. En écoutant le disque, je retrouve les leçons tirées de mes projets précédents dans les petits détails que j’ai peaufinés, les transitions qui sont moins apparentes, ou dans la façon dont je peux diriger en gardant le groupe concentré et détendu en même temps. C’est aussi l’expression d’un nouveau sentiment de liberté qui vient avec l’âge, par lequel je me suis débarrassé du besoin de prouver quoi que ce soit, et je me suis concentré sur mes émotions et mes aspirations les plus personnelles, sans être gêné par mon propre ego ou de fausses attentes. C’est un travail de passion durable, de persévérance et de sagesse durement gagnée…

L’une des différences est l’utilisation de la batterie, en complément du ka, dont certains puristes ont pu parfois dire qu’elle ne traduisait pas forcément très bien l’esprit des rythmes gwoka. Elle ancre cependant indéniablement plus la musique dans le jazz. D’une manière générale, on remarque l’introduction de nouveaux sons, aux claviers souvent électriques, au saxophone également.

Dans Sone kala 2, j’ai ajouté trois nouveaux éléments : la voix et le saxophone portent toutes les mélodies ensemble, qu’elles soient tumultueuses, anguleuses, mystérieuses ou sereines. C’est le seul projet de jazz avec une telle conception, je crois.  De plus, au lieu de deux tambours Gwoka, l’un des tambouyés joue de la batterie, transférant le langage traditionnel à un instrument moderne. Enfin, on retrouve des sons plus contemporains partout, des claviers à la présence fréquente de la basse électrique, en passant par l’utilisation généreuse des pédales d’effets au saxophone.

Au fil des ans, j’ai développé une relation créative avec de nouveaux musiciens, dans le cadre de plusieurs projets récents. Arnaud Dolmen, Gregory Privat, Reggie Washington et Malika Tirolien sont maintenant comme une famille pour moi. Et comme ils ont tous travaillé abondamment avec Sonny Troupé, le choix a été une évidence. Tous ces musiciens sont des leaders accomplis à part entière, avec des voix très distinctes sur leur propre instrument.  Enfin et surtout, pour eux tous, le premier album Soné Ka La a constitué une part importante de leur inspiration au cours de leur développement personnel. Ils comprennent cette musique de l’intérieur. Nous partageons tous différentes parties d’un même rêve !

Parle nous de l’apport de Malika Tirolien

Je voulais rendre chaque mélodie plus puissante, en combinant la voix humaine à la puissance du saxophone. D’une manière étrange, cela crée une voix plus lourde, plus percutante… et plus légère à la fois, plus fluide et agile. Malika Tirolien chante toutes les mélodies avec moi. C’est un talent rare, capable d’utiliser sa voix comme un instrument à travers les gammes et les intervalles les plus difficiles.

Dans le très beau texte d’accompagnement rédigé par ta mère, celle-ci s’adresse à ton père pour lui parler de ta musique. Abyss, en 2008 avait déjà en partie traduit la douleur de sa disparition. Avec Odyssey on aborde des rivages qui semblent plus apaisés, le temps faisant son œuvre.

Beaucoup de mes précédents albums traitaient du deuil et des morts. Odyssey au contraire, est une célébration de la vie.  J’ai cherché une sensation plus lumineuse en utilisant plusieurs dispositifs musicaux. Tout d’abord, beaucoup de morceaux sont dans les tonalités majeures. J’ai également utilisé des intervalles mélodiques plus importants dans des chansons comme Pa Gadé, Zero Gravity ou First Light. Ces intervalles laissent entrer la lumière et permettent à l’énergie de circuler plus librement. J’ai essayé d’exprimer la vie dans tous ses extrêmes, de la tranquillité de la sérénité à la torture brûlante du chaos (Ronjack). Dans mon jeu aussi, j’ai essayé d’explorer plus d’extrêmes, à la fois dans la dynamique, les textures, la gamme et l’intensité. Enfin, j’ai invité tous les musiciens à prendre plus de risques, en tant que soliste ou accompagnateur. Je pense que la spontanéité qui s’en est suivie a rendu le langage musical plus imprévisible.

Le choix du titre, Odyssey, fait référence à ce voyage homérique des esclaves à travers l’océan, et à la force qu’ils en ont forgés pour réussir à reprendre pied aujourd’hui.

Quand j’ai été signé chez Universal, je venais de terminer mes tournées avec le RH Factor de Roy Hargrove et le projet Voodoo de D’angelo. Tout le monde attendait de moi que je produise ma propre version de cette scène urban-jazz émergente dont je faisais partie. Moi, en revanche, j’ai profité de l’occasion pour créer une musique que moi seul pouvais faire, et pour proposer un langage jazz moderne sophistiqué, croisé avec des rythmes et des mélodies afro-caribéennes inspirées des traditions gwoka de mon île natale, la Guadeloupe.

Le sous-titre Odyssey a deux significations. Tout d’abord, il s’agit effectivement d’un hommage aux Africains qui ont traversé l’Atlantique enchaînés et qui ont trouvé la force de créer des arts et de la musique qui ont remodelé et élevé le monde moderne. Ensuite, il symbolise mes voyages musicaux au cours des quinze dernières années, durant lesquelles j’ai exploré de nombreux univers (post bop avec The Art of Dreaming, musique vaudou avec Jazz Racine Haïti, musique liturgique juive avec Hazzan, jazz contemporain européen avec Shijin), pour finalement retrouver le concept initial avec une approche renouvelée, à l’image d’Ulysse revenant à Ithaque après l’Odyssée.

L’album sort mi-octobre chez ENJA, dans un contexte mondial évidemment très compliqué, en particulier pour les artistes. Comment ressens-tu cette période pour le moins incertaine ? Quelles sont tes prévisions ? Des concerts sont-ils tout de même envisagés ?

La musique m’a protégé de la folie toute ma vie. Elle relie les spectres de poussière flottant dans un rayon de lumière, aux vastes plaines de l’univers. Elle donne de la beauté à nos expériences les plus laides et les plus blessantes en les transformant en chansons. Le fait de ne pas pouvoir me produire sur scène a donc été dur pour mon moral. Le Covid a complètement chamboulé mes plans immédiats de tournée tout l’été. Mais je ne laisserai pas cela m’enlever ma quête musicale. C’est pourquoi j’ai décidé de maintenir la sortie de mon disque cet automne. J’ai également la chance de continuer à enseigner à Berklee, ce qui me met un dialogue constant avec des musiciens jeunes et motivés. Les aider m’aide !

Ma conception de la spiritualité est en constante évolution. J’ai été impliqué dans le judaïsme, le chamanisme, le vaudou et le bouddhisme au fil des ans. Mais aujourd’hui, je trouve la spiritualité à travers la musique et l’astrophysique. L’apprentissage de tous les différents types d’étoiles, de planètes, de lunes, de galaxies, de trous noirs, l’étirement à une vitesse croissante sous la pression de l’énergie sombre, et comment elle est liée à un ensemble de lois différentes au niveau quantique, la recherche de la matière noire, des signes d’un multivers, me laissent dans un état d’émerveillement et d’humilité, et me font chérir la planète et la vie qu’elle abrite, plus que les enseignements de tout homme saint.  La musique nous relie à des forces que nous ne pouvons pas voir, célèbre l’immensité au dehors et au dedans, et transforme le vent ou un sourire en chanson.

Et comment vois-tu le rôle de la musique pour les autres ?

Ma vision est d’être un oiseau, d’être libre de toute frontière ou gravité, et de donner des ailes aux rêves des autres. En termes musicaux, cela signifie relier toutes les parties de votre cerveau créatif : des émotions brutes à l’organisation la plus intentionnelle des idées. Cela signifie également que vous devez relier tous les aspects de vos connaissances, qu’elles soient théoriques ou empiriques. C’est enfin relier la musique à la vie elle-même : entendre une mélodie ou un rythme à partir de tout et n’importe quoi. D’un point de vue plus social, je vois ma musique comme un pont entre les cultures et les ethnies. Je suis multiracial et multiculturel, et j’espère aider chaque individu à se retrouver dans tous les autres humains. J’ai le sentiment que nous évoluons vers un contrat social plus inclusif, et la musique devra jouer un rôle à chaque étape !

Merci beaucoup pour cette discussion, mon cher Jacques, et que vive Soné Ka La 2 !


Jacques Schwarz-Bart : « Odyssey - Soné Ka La 2 »


Année : 2020
Label / Référence : Enja
Personnel : Jacques Schwarz-Bart, Gregory Privat, Malika Tirolien, Reggie Washington, Arnaud Dolmen, Sonny Troupé + Simone Schwarz-Bart
Titres
1- Pa Gadé -6:42 / 2- Mendé - 5:51 / 3- Konk A Lambi - 4:58 / 4- Ron Jack - 6:19 / 5- Love Will Win - 6:49 / 6- Zero Gravity - 4:47 / 7- Ami Bongo - 5:00 / 8- First Light - 7:12 / 9- New Padjanbel - 5:32 / 10- Tandé - 2:19

Plus d’info :

  • Le site officiel de Jacques Schwarz-Bart : http://brotherjacques.com/
  • Sortie en Allemagne le 2 octobre 2020, dans le reste de l’Europe le 16 octobre 2020.

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