[Ut musica poesis] Le Frère Jacques ne dort pas
Cela s’impose d’emblée comme une invisible force qui puise son énergie dans le profond de la terre. Quelque chose de tellurique qui déplace des masses énormes, et qui nous place quelque part, sur la lèvre géante du cratère.
Schwarz-Bart (sax & vcl) n’est pas un Frère Jacques endormi. Au contraire, il nous revient avec un jeu et une approche de la musique lucide et actuelle. Lucide parce que l’on sent bien de sa part une compréhension réaliste des enjeux de la musique jazz d’aujourd’hui ; actuelle parce qu’on le devine à l'écoute de ce qui marque indéniablement ce début de siècle, je veux parler de la montée en puissance de la valeur rythmique dans les musiques contemporaines. Non qu’elle ait été jusqu’à présent absente, mais parce qu’elle se renforce au point d’être de plus en plus la valeur de référence dans l’esthétique musicale contemporaine.
Entre R'n’B, rap et syncopes gwo-ka, "Brother Jacques" nous livre un "Project" qui, tout en reposant sur un groove puissant et quelque peu underground, cultive une certaine délicatesse dans l’exposé des lignes mélodiques. La présence de Stephanie McKay (vcl) y est pour beaucoup. Face à l’autre présence, monolithique du Brother Jacques, elle se pose avec une grâce infinie. Apportant au dessus du magma de la basse et de la grosse caisse, l’élan aérien de son corps et l’éclat cristallin de sa voix ; fragile (apparemment) mais extrêmement déterminée dans l’émission du son.
Avec Jason Lindner (kbd) distillant ses accords extra-terrestres et Johnathan Maron (b) ("He looks like a french guy") maintenant contre vents et marées avec Mark Colenburg (dms) un groove d’enfer, Jacques Schwarz-Bart nous a présenté un quintet incisif travaillant simultanément l’apport new-yorkais et guadeloupéen. Avec en prime un discours qui s’affirme et qui prend du poids, il est à l’évidence le plus américain des saxophonistes guadeloupéens, mais plus encore, le plus chaleureux des saxophonistes new-yorkais.