Andy Narell présente Tatoom

andy2Avec son premier album solo en 1979, Andy Narell a sorti le steelpan hors du steelband et l’a introduit dans le jazz, et depuis lors, il a exploré les possibilités et élargi le rôle du pan dans la musique contemporaine. Avec la parution de « The Passage » en 2004, enregistré avec l’orchestre de steelpan parisien Calypsociation et les invités prestigieux qu’étaient Michael Brecker, Paquito d’Rivera et Hugh Masekela, il boucla la boucle et apporta 25 ans d’expérience dans le jazz à un orchestre de trente steelpans.Le voyage créatif continue avec la sortie chez Heads Up International de “Tatoom: Music for steel orchestra” fin février 2007. Avec l’aide de trois brillants solistes – le guitariste Mike Stern, le saxophoniste David Sanchez et le percussionniste Luis Conte- Andy Narell a de nouveau fusionné son écriture jazz unique avec la puissance et l’énergie d’un grand steelband. Cependant cette fois, il a repris le concept d’un compositeur jouant sa propre musique sur un autre niveau.
Traduit du dossier de presse de Tatoom – HeadsUp – Int. 2007
Tatoom-200listenmyspace Titre : Tatoom – music for steel orchestraInterprète : Andy NarellAnnée : 2007Référence : HUCD 3122

Personnel : Andy Narell (steel pan), Luis Conte (perc), Mike Stern (g), David Sanchez (sax), Mark Walker (dms), Jean-Philippe Fanfant (dms)

Enregistrement et mixage: Studio Tex Avril (Paris), Q Division, C&M
Studio et Shelter Island Sound (USA)

Titres :

01 – Izo’s Mood – 12:08
02 – Tatoom – 13:56
03 – Baby Steps – 09:28
04 – Tabanca – 10:56
05 – Blue Mazooka – 13:20
06 – Appreciation – 12:59

Toutes les compositions par Andy Narell

Le Bananier Bleu : Parle-nous de l’évolution de ta musique, depuis le latin jazz du Caribbean Project et tes albums en leader, le jazz caribéen de Sakésho jusqu’à la « Musique pour orchestre de steel pan » que tu développes aujourd’hui. Quelle est la ligne directrice de ce chemin ? Andy Narell : J’essaie de continuer à apprendre et à évoluer tout le temps, et de travailler avec des musiciens qui me posent de vrais défis, desquels je peux apprendre. Sakésho a été une grande expérience pour moi. C’est un environnement très créatif, dans lequel nous nous stimulons les uns les autres pour toujours faire quelque chose de nouveau, et les moments les plus satisfaisants sont ceux où le l’improvisation de groupe débouche sur quelque chose que nous n’avons jamais joué auparavant. Et puis j’ai tellement appris de la musique de Martinique et de Guadeloupe grâce aux autres musiciens du groupe ! Parallèlement, j’ai développé une nouvelle musique pour orchestre de steel pans. J’ai toujours été intéressé à écrire pour de grands ensembles, mais il y a très peu d’occasions de le faire, et la musique pour steelbands m’offre une façon de le faire. J’aime le son du steelband, et c’est un environnement qui n’a rien à voir avec travailler au sein d’un groupe de jazz. Je travaille avec des orchestres dans le monde entier, je donne des cours, je joue comme invité. Le plus souvent avec de jeunes musiciens. Les steelbands portent en eux la capacité de rassembler les gens, et très souvent des musiciens non- professionnels. C’est une partie de mon travail que j’adore véritablement.Mis à part ces deux projets principaux, j’ai joué avec des gens tels que Paquito D’Rivera, Flora Purim et Airto Moreira, Maraca, Vince Mendoza et le Big Band de la WDR. Toutes ces situations me tirent vers l’avant pour améliorer mon jeu, et du coup je saute sur toutes ces occasions, dès que j’ai la chance qu’elles se présentent.LBB : Pour « Tatoom », tu as choisi d’enregistrer toutes les parties de pan toi-même, contrairement à ce que tu avais fait pour « The Passage ». C’est donc un travail minutieux sur le son que tu recherchais.AN : J’avais prévu de réaliser « Tatoom » avec Calypsociation, comme cela avait été le cas pour « The Passage ». En réalité, durant deux ans, j’ai répété la musique avec eux, et nous l’avons jouée dans de nombreux concerts, y compris pour un enregistrement en public au Portland Jazz Festival en 2005, et qui a été diffusé sur une centaine de stations de radio aux Etats-Unis. J’ai commencé à enregistrer l’album avec le Big Band complet – 25 musiciens – Mais il y a eu des problèmes personnels avec certains musiciens clés, qui se ressentaient dans la musique, et du coup cela ne correspondait plus à ce que je recherchais. J’ai donc tout recommencé, avec Mark Walker et Jean-Philippe Fanfant à la batterie, Luis Conte aux percussions, tandis que je jouais moi-même tous les pans. Ce fut un énorme travail mais qui procurait quelques avantages. J’ai fait beaucoup d’enregistrement « sur la route », utilisant les instruments d’Ellie Mannette partout où je pouvais en trouver. Le fait de les enregistrer un par un m’a permis d’en capturer à chaque fois la beauté de l’instrument, et a supprimé les problèmes causés par les fuites. Et puis surtout j’ai vraiment apprécié de jouer tous les pans de l’orchestre, chose que je n’avais plus faite depuis longtemps.LBB : D’où vient le nom de l’album ?

AN : Le titre ne veut pas véritablement dire quelque chose. C’est une petite blague sur les deux premières notes de la chanson, une onomatopée, – Tatoom, le son de l’entrée des basses.

LBB : Quelle est la spécificité de l’écriture de cette musique, à mi-chemin du jazz et de la musique dite classique ?

AN : Dans “Tatoom”, la musique est orchestrale. Il y a 22 joueurs de pan qui n’improvisent absolument pas. Chaque note est clairement spécifiée dans l’arrangement. La batterie et les congas ont de l’espace pour s’exprimer, mais on leur a aussi donné beaucoup d’informations sur la composition. Les solistes improvisent à l’intérieur d’une structure qu’il vaudrait mieux appeler Jazz – c’est à dire jouer sur la structure et la grille d’accords du morceau. J’essaye d’apporter les concepts du jeu jazz à la musique pour steelband, et en particulier dans l’interaction entre le soliste et la section rythmique. L’un des points sur lequel j’ai insisté avec le Big Band était de voir comment suivre la dynamique du batteur sans l’aide d’un chef d’orchestre, de telle manière que tout l’orchestre puisse suivre cette interaction et s’habitue à entendre ce dialogue spontané sans perdre la trace de l’endroit où il se trouve dans le morceau. Il y a aussi plusieurs passages pour pans, qui sonnent comme un chorus de jazz bien que je les aie composés note à note.

LBB : D’ailleurs le format de tous les morceaux est très long. C’est une nécessité pour ce type d’écriture ?

andy1webAN : La longueur n’est pas une nécessité pour ce type de musique, mais c’est l’orientation que j’ai pris avec ces morceaux. En général, c’était le résultat d’avoir essayé de fondre une composition orchestrale avec le jazz. Dans la plupart des pièces, il y a un exposé thématique, suivi d’un solo de jazz, suivi par la réponse du steelband, puis un retour au thème et un final. Parfois je reviens au thème d’ouverture, et parfois je continue simplement. J’ai toujours été intéressé par la musique évolutive, où l’on finit quelque part d’absolument différent de là où on avait commencé, donc les morceaux longs ne sont pas une nouveauté pour moi. Un album de pièces orchestrales vraiment longues est cependant une autre histoire, il me semble.

LBB : Izo’s Mood et Baby Steps sont deux reprises de Sakésho. Comment ont-ils été adaptés ?

AN : Je me suis aperçu que quand je réarrange des morceaux du quartet pour le steelband, ils sonnent vraiment différemment. C’est de cela que je suis parti et ensuite j’ai travaillé sur la façon dont je voulais que la version pour steelband sonne, comme si c’était un morceau complètement différent. Toute la deuxième partie de Izo’s mood, après mon solo, est un ensemble de variations qui n’existent pas dans la version de Sakésho. La version pour steelband de Baby Steps est basée sur un fondement rythmique complètement différent, et par ailleurs, pour inviter Mike Stern à y placer son solo, j’ai écrit deux sections supplémentaires de solo, à faire jouer au steelband.

LBB : Tu as convié sur cet album quelques vieux complices, Luis Conte – qui t’accompagnait déjà sur “Behind the bridge”, Mark Walker – que l’on retrouve sur les albums du Caribbean Jazz Project et enfin Jean-Philippe Fanfant qui collabore avec toi à Sakésho.

AN : J’avais déjà fait beaucoup de choses avec ces garçons, et donc j’avais une idée plutôt précise du feeling qu’ils apporteraient au projet. Luis Conte a joué sur environ six de mes albums et son groove, sa créativité et sa musicalité sont toujours un plaisir. Mark Walker et moi avons joué environ 200 concerts ensemble – mon groupe, le Caribbean Jazz Project, les dates de Paquito, Vince Mendoza et le Big Band de la WDR. Et puis bien sûr, Jean-Philippe Fanfant et moi jouons régulièrement au sein de Sakésho. Dans ce type de musique, le batteur « conduit le bus » et on a besoin d’une performance à laquelle tous les autres musiciens de l’orchestre doivent s’adapter. A Trinidad, on appelle la section rythmique, « la salle de machines ». Cela donne l’énergie qui entraine tout l’orchestre. Ce que font Mark, Jean-Phi et Luis est si spécial que ce ne sont pas seulement de grands musiciens, ils apportent une compréhension et un amour de la musique. Mon objectif est d’avoir un orchestre qui joue avec émotion, et quand le batteur vous donne ça, vous avez les fondations nécessaires pour construire dessus.

LBB : Du côté des solistes on peut probablement être a priori surpris par le choix de Mike Stern, dont la couleur musicale dominante n’est ni latine, ni caribéenne. Comment s’est fait ce choix, et comment s’est passée la rencontre musicale ?

AN : L’idée d’avoir des solistes invités qui ne jouent pas d’instruments du steelband, m’était déjà venue quand je travaillais sur « the Passage ». Pour cet album, j’avais fait jouer Mike Brecker, Paquito D’Rivera et Hugh Masekela. Je voulais essayer quelque chose de différent avec « Tatoom » et j’étais intrigué par les possibilités de rencontre entre guitare électrique et steelband. Et je suis un fan de Mike Stern. Je prends le fait de faire un disque comme une opportunité d’expérimenter, d’essayer de créer quelque chose de nouveau, et mon approche générale est éclectique, donc sortir du cadre latin et caribéen pour trouver des solistes ne me pose aucun problème tant qu’ils savent swinguer. J’avais demandé à Mike Brecker de jouer une biguine. Il n’était absolument pas familier avec ce style de musique, mais il joua un solo magnifique. Pour ce qui est de Mike Stern, je voulais qu’il soit lui-même, qu’il réagisse au son d’un grand steelband et qu’il sorte un solo ‘à la Mike Stern’ par dessus cela, et j’avais deviné qu’il serait suffisamment flexible avec son son pour que cela fonctionne. Je suis vraiment très heureux du résultat.

LBB : Enfin, David Sanchez est invité sur Tabanca, une biguine accompagnée par Jean-Philippe Fanfant.

AN : La première fois que j’ai entendu David jouer, c’était à Porto Rico et il devait avoir vingt ans. C’était déjà un grand musicien et depuis lors j’ai toujours voulu jouer avec lui. Il y a un style musical à Porto Rico, que l’on appelle « bomba » qui a des similitudes avec la biguine, et il a tout de suite été à l’aise. Et puis Jean-Philippe apporte tellement de subtilité et de beauté à la biguine – c’est ce qui a donné son sens à la performance.

andy4webLBB : La version du dernier morceau de l’album, “Appreciation”, rend hommage à une grande figure du Calypso, Lord Kitchener, disparu en 2000.

AN : J’ai écrit “Appreciation” en 2000, pour le Panorama Steelband Competition à Trinidad. C’était joué par un groupe qui s’appelait Skiffle Bunch, et qui comprenait cent musiciens. Lord Kitchener, que je considère être le plus grand compositeur de l’histoire du Calypso, est mort peu après le premier tour du concours, et j’ai alors ajouté un passage au morceau, en son hommage. C’est basé sur une courte citation de l’une de ses chansons – « Pan night and day ». C’est le passage rêveur, juste avant la fin du morceau, où les basses jouent les mélodies.

LBB : Tu es installé à Paris depuis quelques années. Que t’apporte cette localisation géographique ?

AN : Cela fait maintenant cinq ans que je suis installé à Paris, et j’ai le sentiment d’avoir beaucoup évolué de puis ce temps-là. J’ai beaucoup joué avec Sakésho, et j’ai pu travailler de façon constructive sur la musique pour steelband. J’ai eu l’occasion de passer plus de temps en Martinique et en Guadeloupe et j’ai beaucoup appris sur la biguine, la mazurka, le gwoka, le bélair… J’écoute aussi beaucoup de musique africaine et j’espère pouvoir travailler plus avec les musiciens de ces pays. La musique d’Afrique du Nord a été une vraie révélation – il en arrive très peu aux Etats-Unis. D’une manière générale j’ai trouvé que les musiciens à Paris avaient souvent un point de vue différent, basé sur la fusion entre musique africaine, afro-caribéenne et le jazz. Il y a beaucoup de choses dans ce sens, et c’est assez unique, cela n’essaie pas de sonner américain, en dépit de ce que pensent beaucoup de musiciens américains.

LBB : L’album sera distribué aux Antilles à partir de quand ? Une tournée Martinique / Guadeloupe est-elle prévue prochainement ?

AN : J’espère que l’album sera distribué en Martinique d’ici l’été. Faire des tournées avec cette musique est compliqué en raison de la taille du groupe, mais ce qui est formidable, c’est qu’il y a de très nombreux steelbands qui jouent et je peux travailler avec eux. Actuellement, je travaille sur un gros projet pour arriver à jouer la musique de « Tatoom » et « The Passage » au Festival de Jazz de Trinidad, fin octobre 2007. Je ferai cela avec le All Stars Steel Orchestra, l’un des grands orchestre de steelpans de Trinidad, et nous ferons venir un soliste – je ne sais pas encore lequel. Dans l’intervalle, j’espère venir jouer rapidement avec Sakésho aux Antilles.

Entretien réalisé en avril 2007 – Christophe Jenny

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