Entretien avec Mike Stern

“The more you know, the less you know…”
à l’occasion de ses concerts en Guadeloupe et en Martinique – juin 2004

2004-06-03-Mike-Stern-03Le Bananier Bleu : Le concert d’hier était vraiment fantastique ! Et une chose est évidente, vous avez toujours l’air heureux quand vous jouez.

Mike Stern : Merci beaucoup. J’aime jouer… en fait, j’adore jouer ! Et particulièrement quand la section rythmique est bonne. Quand les musiciens avec qui je joue sont bons. Et là, Richard Bona est affolant. Quant à Lionel Cordew, c’est un batteur fantastique. Alors ça m’inspire ! On a plaisir à jouer avec eux. Je m’amuse avec la musique, surtout quand je sais qu’ils sont à l’aise. Parfois, quand vous vous débattez avec de la musique compliquée, vous ne vous amusez vraiment pas.

LBB : Apparemment l’atmosphère du concert vous a également plu. Etait-ce la même chose en Martinique ?

MS : Super ! C’était très agréable. Et en même temps très relax. Tout le monde avait l’air d’apprécier la musique. Alors, je passe vraiment un bon moment ici. Vous savez, c’est la première fois que je viens en Guadeloupe et en Martinique. Mais j’ai l’intention de revenir ! Ca paraît vraiment cool, et il y a un véritable intérêt pour le jazz. En fait ce n’est pas véritablement une surprise, parce qu’il y a tellement de musique naturellement sur ces deux îles !

01LBB : Il y a une sorte d’engouement actuel de nombreux jazzmen américains pour les musiques caribéennes. Est-ce que vous connaissez un peu le travail de David Murray, Kenny Garrett… ?

MS : Je connais un peu ce que fait Kenny, parce qu’il est sur le même label que moi. Il est toujours en train d’essayer des trucs différents, différentes sortes de musiques. En fait, je ne suis pas un expert en musique caribéenne, mais j’aime le feeling et les vibrations que ça dégage. J’aime bien ces musiques, même sans les avoir vraiment étudiées. Et puis, il y a aussi des similarités avec certaines musiques africaines. J’aime bien juste saisir le feeling de la musique, et ensuite l’inclure dans ce que j’écris. Comme ça, c’est dans l’air, c’est juste un parfum, plutôt qu’une immersion totale dans une certaine sorte de musique. J’aurais bien sûr besoin d’écouter plus attentivement mais vous savez, on peut tout trouver à New York !! Ceci dit, en fait, la chose que j’ai le plus étudié est quand même le jazz lui-même. Et particulièrement le be-bop, en écoutant Charlie Parker, Sonny Rollins, John Coltrane et Miles Davis. C’est vraiment là-dessus que je me suis concentré. L’autre point important, c’est que j’essaie de jouer des lignes de cuivres à la guitare. J’écoute beaucoup de joueurs de ténor. Et j’ai aussi beaucoup joué avec de grands joueurs de ténors comme Joe Henderson, bien sûr Bob Berg, et aussi Michael Brecker. Il y a souvent beaucoup de saxophonistes ténors dans mes groupes. Par exemple actuellement Bob Franceschini, qui aurait dû faire la tournée avec nous… mais il vient d’être papa !

10LBB : Vos deux derniers albums, “Voices” et “These Times”, marquent un changement radical dans votre production, en faisant apparaître la voix.

MS : Cela faisait longtemps que je voulais faire quelque chose avec la voix. Parce que quand je joue, je chante les mélodies. Quand j’essaie d’écrire, je chante d’abord, puis je joue à la guitare, et enfin j’ajoute les accords. C’est aussi simple que cela. Donc c’est souvent conçu comme une chanson. Parfois j’écris des lignes plus difficiles à chanter, plus be-bop, mais en général, ma musique est, disons, “chantable” ! En fait depuis longtemps de nombreux chanteurs me demande à chanter mes musiques, à y ajouter des paroles. Alors quand j’ai rencontré Richard, il y a plus de dix ans maintenant – il jouait avec Joe Zawinul et moi je tournais avec mon groupe avec Bob Berg – je suis allé le voir – j’avais déjà entendu parler de lui – et je lui ai dit : “Man, il faut qu’on joue”. On est monté dans ma chambre d’hôtel – un peu comme celle-ci, et on a joué toute la journée avant le concert. Richard s’est mis à chantonner certains de mes morceaux, et là j’ai réalisé que ça sonnait vraiment très bien. De ce jour là, je me suis dit qu’il faudrait que je fasse quelque chose avec la voix. Plus tard, alors que Richard s’était installé à New York, je l’ai appelé et je lui ai dit que je voulais essayer ça. Je lui ai joué quelques morceaux au téléphone, en lui demandant ce qu’il en pensait, s’il pensait que ça pourrait marcher… Il m’a dit, “Mike, c’est superbe, vas-y !”. Alors j’ai fait “Voices”. Richard a chanté trois chansons, et Elisabeth Kontomanou en a chanté une autre. Ils chantent aussi sur le nouvel album “These Times”, et bien sûr Richard est très présent également à la basse sur les deux disques. C’est vraiment renversant, c’est un musicien incroyable, tellement naturel, et avec une oreille incomparable et un feeling extraordinaire ! Il me rappelle beaucoup par son énergie – enfin je parle de son jeu de basse – Jaco, avec qui j’ai joué pendant des années. D’ailleurs il est lui-même très influencé par Jaco. Il a ce même genre d’esprit “rock’n’roll”. C’est un tueur à la basse, il a l’esprit du rock, et j’adore ça ! Ca me convient très bien ! Et en plus il s’amuse. Souvent je joue avec des types très bons, mais qui sont tellement sérieux sur scène, ça me démonte, je leur dit : “Hey, qu’est-ce que vous avez ? On ne joue que de la musique, vous savez !”. Alors jouer avec Richard, c’est vraiment du bonheur.

12LBB : Du coup on retrouve beaucoup d’influences africaines dans les compositions.

MS : Oui, un peu plus, parce que dès que Richard commence à chanter, même si le morceau n’est pas africain, il apporte sa vibration, et immédiatement, ça sonne africain ! Il faut donc écrire avec ça en tête, et adapter les arrangements. J’ai auditionné beaucoup d’autres chanteurs pour le disque. Ils étaient très bons, mais avec un son trop conventionnel, made in the US ! Ca ne marchait pas aussi bien que ça pour ma musique. Alors j’ai écouté Elisabeth Kontomanou qui a une voix beaucoup plus originale. Elisabeth est originaire de France, sa mère vient de Grèce et son père est africain. Du coup, elle a un style très inhabituel, une influence “world” dans la voix, que j’ai préféré pour ma musique.

LBB : Avez-vous dû adapter votre jeu de guitare à ces nouvelles influences ?

MS : Non, j’ai gardé mon son d’origine. Je tiens ça de Miles. Si vous prenez un solo de Miles Davis dans “Kind of Blue” et un dans “Bitches Brew” par exemple, deux albums très différents, Miles sonne toujours comme Miles. Il n’a pas vraiment changé. Il changeait plutôt ce qu’il y avait autour de lui. De cette façon, vous gardez une forte identité.

2004-06-03-Richard-Bona-01LBB : Dans les ballades, le son de la guitare et la voix se marient particulièrement bien

MS : Je pense que c’est un bon mélange. J’essaie toujours d’avoir un son qui s’approche de la voix à la guitare, c’est ce que je recherche naturellement. Parce que j’essaie de chanter quand je joue. J’essaie toujours d’obtenir ça, quelle que soit la manière, que ce soit un effet, un réglage sur l’ampli… Naturellement, la guitare est plutôt un instrument percussif et moi, je cherche à obtenir un son plus lissé, vocal, comme les lignes musicales des cuivres. Alors effectivement le mélange prend plutôt bien, et surtout avec la voix de Richard.

LBB : Quels sont vos projets actuels ?

MS : Je ne suis sûr de rien pour l’instant. Je voudrais d’abord faire un petit break parce que pour l’instant cet album est encore très récent. Cependant, je vais probablement continuer un peu dans la même direction que les deux derniers albums. Je sens que j’ai envie de continuer à faire quelque chose avec Richard, et si vous avez Richard sur un disque, vous avez forcément des voix ! J’écris un peu dans ce sens pour l’instant. Mais tout n’est pas prêt encore. D’un autre côté, j’aimerais enregistrer un disque live en studio, avec différents musiciens, Lincoln Goines par exemple, ou encore Dennis Chambers, Lionel Cordew, essayer différentes combinaisons. Enfin, j’ai différentes idées.

2004-06-03-Mike-Stern-01LBB : Quelles étaient vos influences musicales au départ ?

MS : Quand j’étais vraiment jeune, le rock. Je jouais aussi un peu de blues, et le blues est toujours resté quelque part en moi. C’est une grande source d’inspiration, BB King…. Et bien sûr, Jimi Hendrix, mais aussi Jeff Beck, les Beatles, les Stones. Puis en fait, assez rapidement, j’ai plongé dans le jazz, et plus j’étais dedans, plus j’ai aimé ça. Il a fallu aussi que j’étudie plus, parce que c’était plus dur. Mais je n’ai jamais tourné le dos au rock ni au blues. C’est dans mon cœur. Par ailleurs, ma mère jouait beaucoup de musique classique.

LBB: Et aujourd’hui, qu’est-ce que vous écoutez comme musique ?

MS: Aujourd’hui, énormément de choses différentes. Je prends beaucoup d’inspiration chez ma femme, Leni Stern. Elle joue de la guitare et elle chante. Elle est plutôt tournée vers la world music, et elle étudie le chant Hindou. Tous les matins elle joue de la Tamboura au réveil, en chantant. Et j’aime ça. Elle rapporte toujours des CD à la maison, d’Inde, du Pakistan, par exemple Nusrat Fateh Ali Khan. Alors quelque part, on retrouve certaines de ces influences dans mes derniers albums. Mais il y en a bien d’autres, Kenny Garrett par exemple. Comme j’enseigne, je prends aussi beaucoup chez mes étudiants. De mon côté, j’étudie d’ailleurs aussi, avec Charlie Banacos. C’est un musicien fantastique, il est de Boston, il joue du piano et il enseigne tous les instruments. Il ne donne jamais de concerts, mais il est très connu, un peu underground, surtout par le bouche-à-oreille. Je prends des cours par correspondance avec lui, il m’envoie les leçons, je joue et je lui renvoie… Il y a tellement de choses à apprendre, c’est incroyable ! Tellement de nouveaux musiciens, très bons… Et puis j’écoute aussi du classique, Bach, Stravinsky… Alors j’ai l’impression que plus je plonge dans la musique, moins j’en sais. Man, the more you know, the less you know!

LBB: Merci Mike.

MS: C’était un plaisir.


Entretien réalisé le 04 juin 2004
Christophe Jenny & Marc Chillet

[edit] Voir l’article publié sur l’Autre Blog en 2009 à l’occasion d’un concert au JAM de Montpellier.


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