Mario Canonge présente Rhizome

Mario Canonge publie Rhizome, un album déjà reconnu par la critique (quatre étoiles dans Jazzman, sélection FIP…), où le jazz est encore plus présent que dans ses albums précédents, tout en préservant fortement son identité antillaise. Mario a effectué une petite tournée de présentation du disque en Guadeloupe et en Martinique, accompagné de Jacques Schwarz-Bart, Michel Alibo et Jean-Philippe Fanfant. Nous l’avons rencontré lors de son passage à LaKasa Music en Guadeloupe.

Le Bananier Bleu : D’où est venu le titre “Rhizome” pour cet album ?

Mario Canonge : Ah, évidemment ! En fait, l’idée est venue un peu de mes lectures. Le concept du rhizome vient d’Edouard Glissant. Ce sont les racines démultipliées. Ce qu’explique Edouard Glissant, c’est qu’un arbre a une racine unique qui agit comme un prédateur qui mange tout ce qu’il y a autour. Alors que le rhizome, ce sont des racines qui vont dans tous les sens. C’est un peu la symbolique de ce qui va à la rencontre du monde, ce qui n’est pas figé, ce qui est multiple. Et dans cette musique-là, c’est ce qu’on retrouve. D’abord je suis allé enregistrer aux Etats-Unis, avec des musiciens américains, je composais une musique aux rythmes caribéens, mais avec l’esprit de l’échange. C’est aussi lié au concept des enfants de Glissant que sont Chamoiseaux, Confiant etc., qui ont développé le concept de la créolité, c’est-à-dire le mélange, le métissage, qui a commencé sûrement d’abord avec l’esclavage et le brassage qui s’en est suivi des races blanches, noires… puis ensuite asiatique, indien, levantin… et ce qu’ils disent est un peu une préfiguration de ce que sera le monde un jour ou l’autre. C’est ce qui se fait déjà à travers les voyages… et même avec Internet ! Finalement c’est quelque chose où chacun a sa culture, et échange avec les autres cultures, les autres peuples, tout en respectant ce qu’on ne comprend pas, ce qu’on peut ne pas comprendre de la culture de l’autre. Certains disent que l’opacité est une richesse ! On peut admettre les choses sans forcément les comprendre. Donc Rhizome, c’est ça !!

LBB : Cela illustre la diversité de tout ce qu’on retrouve dans l’album…

MC : Oui ! Ceci dit, j’ai fait la même chose dans les autres disques, mais celui-là est encore plus ouvert.

LBB : Premier invité de choix, Roy Hargrove est présent sur deux titres…

MC : Oui, Roy Hargrove, c’est quelqu’un que j’admire depuis longtemps. Je dois avoir une dizaine de disques de lui ! Jacques Schwarz-Bart joue avec lui, c’était une occasion pour moi. J’ai osé lui demander !! Et je pense que grâce à Jacques il a accepté. Il a fait deux morceaux avec nous.

LBB : Justement, tu le lances sur le premier morceau avec des rythmes franchement traditionnels caribéens, mélange de ka et de bèlè. Comment s’en est-il sorti ?

MC : Lui ? Mais il est impressionnant ! C’est un musicien qui est vraiment extraordinaire. Il nous a tous sciés. On ne savait pas à quoi s’attendre, mais quand il prend sa trompette… c’est fini !! On ne rigole plus ! Et il a fait ça à une vitesse… Ce qu’on entend là, ce sont pratiquement les premières prises. Je lui ai juste demandé de faire une autre prise par sécurité, et il a bien voulu le faire, parce que normalement lui, c’est “one way” et terminé !

LBB : Est-il intéressé par la musique des Caraïbes, à l’image de Kenny Garrett ?

MC : Je ne sais pas. D’après ce qu’en dit Jacques, il aime beaucoup la Guadeloupe, il est déjà venu et si je lui demandais de venir jouer avec moi ici, il viendrait… On verra !! Après la séance d’enregistrement, il est venu me voir, et il m’a dit “Bonne chance” !! Donc je pense qu’il a bien aimé. D’ailleurs j’avais repéré qu’il y avait des trucs qui lui plaisaient bien quand il enregistrait. Et deux mois après, je suis revenu à New York pour le mixage, et je l’ai rencontré dans un club, je suis allé le voir en pensant qu’il ne me reconnaîtrait jamais, et pas du tout, il m’a tout de suite demandé comment ça allait, où en était le disque… il a dû bien aimer !

LBB : Parmi les autres musiciens étrangers, on retrouve deux vocalistes africains…

MC : Gino Sitson est un copain qui vivait en France, et qui s’est installé aux Etats Unis depuis quelques années. Et Richard Bona, je le connais depuis longtemps. J’ai été le premier à l’emmener aux Antilles. D’ailleurs Richard m’a invité récemment au concert qu’il donnait pour France Inter. Et puis il y a le batteur, Antonio Sanchez, qui est vraiment impressionnant. Il est d’origine portoricaine, donc ça aide, mais on ne lui a jamais dit qu’il fallait jouer la mazurka de telle façon, le gwoka de telle autre. On a joué les morceaux avec Michel, et on lui a dit “Ecoute, essaye de t’adapter…”, et c’est ce qu’on voulait, que ces gens-là amènent leur truc à eux. Et il est entré dedans de façon vraiment impressionnante. C’est un tel musicien ! Moi-même j’étais impressionné. C’est quand même le batteur de Pat Metheny, de Michael Brecker… On a fait juste deux répétitions avant d’enregistrer, mais ça s’est vraiment bien passé, on a gardé les contacts, et ils sont prêts à venir jouer avec moi si je les appelle.

LBB : Il y a beaucoup d’autres musiciens sur le disque, mais il y en a un en particulier avec lequel la complicité dure depuis longtemps, c’est Michel Alibo.

MC : Michel c’est le poto mitan de l’affaire ! C’est d’abord un musicien impressionnant dans la compréhension des choses et dans sa façon d’ouvrir la musique. Je crois qu’il voit la musique en trois dimensions ! Et il fait partie pour moi des meilleurs bassistes aujourd’hui.

LBB : Vous composez ensemble ?

MC : Non. On a fait ça il y a très longtemps, à l’époque de Sakiyo. D’ailleurs le concept de départ venait même de lui. Aujourd’hui, on va dans la même direction, mais par exemple on n’écoute pas forcément la même musique, Michel est plus ouvert que moi en fait. Même dans le jazz, je suis plus traditionnel que lui, je serais plus be-bop que lui, même si j’ai un côté un peu plus moderne, style McCoy Tyner. Michel est plus à l’écoute de ce qui se fait tout le temps, ce qui est d’actualité. Il écoute de la musique sans arrêt, il m’en fait écouter sans arrêt !

LBB : En écoutant le disque, on peut être surpris par le format des morceaux. Tu entames l’album avec deux morceaux de quasiment dix minutes chacun. D’une manière générale se dégage une impression de grande liberté.

MC : En fait ça a été une surprise pour nous aussi ! Ce qui s’est passé, c’est que j’ai préparé ce disque assez rapidement. J’ai composé les morceaux en peu de temps, comme toujours, mais d’habitude, j’enregistre à Paris. Donc je suis chez moi, j’ai le temps de re-calibrer les choses… Et là je suis parti dans un esprit plus jazz, on n’a pas fait attention à ça. C’est après que je me suis rendu compte qu’il y avait des morceaux dix minutes. J’ai eu un peu peur, je me suis dit que c’était jazz, d’accord, mais que ça risquait de désarçonner certaines radios… mais j’ai pris le risque, et je ne regrette pas. En plus, je ne m’ennuie pas en écoutant la musique. Il y a de tels solistes, Roy, Jacques… qu’il y a toujours quelque chose qui se passe. Quant au titre de 40 secondes, “Mangles”, en fait c’est le même titre que le suivant, “Mangrove”. C’est juste l’intro que j’ai commencé au piano et puis on a continué directement. Ce qu’il y a, c’est que le titre de mes morceaux a de l’importance pour moi, lié au titre “Rhizome”, la nature, les contes antillais à travers par exemple “Manman Dlo”, “Lueur Eteinte”…

LBB : Quelles tournées prépares-tu ?

MC : On n’a pas encore commencé, puisque là, c’est juste le troisième concert. Mais l’année prochaine, il y a déjà trois semaines de tournée de prévues, aux Etats Unis, dans la Caraïbe – Haïti, Saint Domingue, au Mexique… vers mars je crois.

LBB : Le disque sera donc également distribué partout…

MC : Oui. D’habitude, je m’occupe de tout pour mes disques, production, distribution etc. Cette fois-ci, comme cette musique est quand même un peu moins accessible que ce que je fais d’habitude – même si je considère néanmoins que c’est mon meilleur disque !! Donc cette fois-ci, j’avais besoin d’être épaulé. Alors j’ai choisi le label O+, parce qu’il est distribué par Harmonia Mundi, et donc distribué partout. Je suis plus tranquille, je sais que ces gens-là s’en occupent. Aujourd’hui, par exemple on m’a proposé une tournée en Grèce en novembre… Donc j’espère que ça va bouger.

LBB : Bien que tu sois évidemment pleinement accaparé par la sortie de “Rhizome”, il me semble que tu as d’autres projets, en particulier avec Jacques Schwarz-Bart.

MC : Il y a deux projets. Il y en a un qui sera très gwoka, très moderne, et un autre que j’ai suggéré à Jacques, plus pour lui et pour les Antilles, un disque plus classique, de biguines, de mazurkas, avec de belles mélodies, pour qu’il se fasse connaître du public ici aux Antilles. Je crois que c’est important qu’il fasse ça.

LBB : Merci Mario.

MC : Merci à vous.


Rhizome (Mario Canonge)


Année : 2004
Label / référence : O+ Music (OP102)
Personnel : Mario Canonge, Michel Alibo, Roy Hargrove, Jacques Schwarz-Bart, Bago, Antonio Sanchez, Richard Bona, Gino Sitson, Dominique Koquerel, Eric Coqk, Jean-Pierre Koquerel, Miguel Gomez


Titres : 1. Madikera - 08'41 / 2. Plein Sud - 10'48 / 3. Maman-Dlo - 05'15 / 4. Open The Door - 06'33 / 5. Lueur Eteinte - 08'02 / 6. Mangles - 00'41 / 7. Mangrove - 05'59 / 8. Eia Haïti - 06'00 / 9. Rhizome - 10'20 / 10. Rhizome - Final - 00'33 / 11. Bonus CD Xtra : Vidéo Toutes les compositions sont de Mario Canonge, à l'exception de Mangrove (Eric Vinceno)

En deux mots : Mario Canonge s’est longuement préparé à la réalisation de cet album tournant, qui tranche avec les époques précédentes, tout en restant profondément caribéen. Essentiellement enregistré à New York, « Rhizome » amorce un virage jazz et voit la participation de plusieurs signatures prestigieuses : Roy Hargrove, Jacques Schwarz-Bart, Richard Bona, Antonio Sanchez…

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