Mo-Juba-O, l’AfroClassicBeat de Muyiwa Kunnuji

Muyiwa Kunnuji

L’aura de Fela, immense et fertile, a engendré, de son vivant mais également depuis sa disparition, une diaspora mondiale de l’afrobeat. Musique, philosophie et politique, c’est le véhicule idéal de messages de lutte comme de paix et d’amour, portés par cette irrésistible fusion entre rythmes africains, funk et rock, et qui en fait le succès durable et planétaire. Après la disparition du maitre, la flamme a été d’abord portée par les musiciens qui ont participé à l’aventure, et dont Tony Allen est le représentant le plus emblématique, mais pas le seul. On peut aussi citer le Ghetto Blaster de Kiala Nzavotunga. La famille bien sûr, a également prolongé l’action, à travers les musiques de Femi Kuti et Seun Kuti. Et puis plus largement de nombreux autres artistes se sont emparés de l’afrobeat comme Antibalas, Kokolo, Soul Jazz Band, ou les incursions brillantes de Hugh Masekela ou Manu Dibango. En France la scène est riche, sous les vibrations de Franck Biyong, Fanga ou encore des Frères Smith. C’est en plein cœur de cette mouvance que l’on retrouve aujourd’hui le trompettiste Muyiwa Kunnuji, qui présente le premier album sous son nom, Mo Juba O.

Autodidacte, Muyiwa Kunnuji a grandi à Lagos, imprégné dès son plus jeune âge d’un mélange riche de musiques, du classique au jazz et au gospel sous l’influence de son père prêtre anglican, et des musiques de la rue, highlife, jive, juju et déjà afrobeat. Aujourd’hui, Muyiwa sait ce qu’il doit à chacune de ces influences : le sens de la rupture et de l’innovation chez Miles Davis, les subtilités de l’écriture chez Thelonious Monk et le swing avec Duke Ellington. Voilà pour le jazz. Mais la science des chants et des réponses, caractéristique de la tradition africaine, se retrouve également chez Haendel ! Bref, dès le départ, la musique était universelle. Muyiwa se met à la trompette et joue dans les orchestres de Lagos. Recommandé par les musiciens de Fela qui l’ont entendu jouer, il se retrouve presque sans s’en apercevoir à passer une audition à Kalakuta. Malgré le stress qui lui fait uniquement bafouiller quelques notes malheureuses, il se fait remarquer par Fela qui le retient immédiatement pour jouer lors de son prochain concert, là où des techniciens chevronnés attendent depuis des mois qu’on leur fasse signe de venir sur le devant de la scène. Incroyable. Muyiwa cachera tant bien que mal à son père son engagement qui n’est pas véritablement dans la ligne de vie et de carrière qu’il destinait à son fils, mais les dés sont jetés, et l’aventure ne s’arrêtera plus.

Muyiwa Kunnuji

A la mort de Fela, Muyiwa joue avec Seun Kuti et on le retrouve par exemple sur l’excellent Many Things paru en 2008. Depuis 2012, Muyiwa Kunnuji est installé dans le Sud de la France, et y a petit à petit monté son groupe, Osemako avec lequel il tourne et peaufine ses compositions. Le temps était venu de graver sa musique, et Muyiwa propose aujourd’hui l’aboutissement de ce travail, avec l’album Mo Juba O.

Mo Juba O

Un premier album, avec une histoire de cette ampleur, est souvent un retour sur le parcours musical dense de toutes ces années. Et c’est le cas avec Mo Juba O, qui comporte aussi bien d’anciennes compositions, enregistrées à Lagos, que des titres plus récents et des arrangements remaniés. C’est tout ce qui fait l’intérêt de l’album qui plonge aussi bien dans l’afrobeat, que le jazz, emprunte parfois même plus loin, alterne les textes en anglais, en français et bien évidemment dans ce broken english, ce pidgin tellement caractéristique des titres de Fela. Les cuivres claquent, l’afrofunk est lourd, et dès l’ouverture avec, Mo Juba, salutation au monde, l’ambiance est posée, jungle moite, transe qui monte. Pas d’erreur, l’irrésistible appel de l’afrobeat est là. J’ai un petit faible pour Olofofo, son petit côté rétro qui balance furieusement. C’est une ancienne composition de Muyiwa, mélange de highlife, jazz, afrobeat, juju qui crée une atmosphère inimitable, légèrement nostalgique et enivrante. Avec son groupe Osemako, Muyiwa recrée un son chaud, joue des codes – en introduisant par exemple le vibraphone, peu classique ici, emprunte à différents langages – comme l’ostinato latin qui sous-tend Aradugbo, fait se répondre les instruments et les sections, bref développe son propre univers : « AfroClassicBeat » explique Muyiwa Kunnuji. Le résultat est un album qui s’inscrit dans la grande tradition de l’afrobeat, avec des standards comme Petit à petit, Everything that has breath ou Ole Rerunrerun, mais élargit aussi le paysage en y mélangeant les rythmes traditionnels Yorubas, les balancements du highlife et du juju, avec Olofofo ou encore Pot and kettle. Pour l’album, Muyiwa a également fait appel à quelques anciens emblématiques des orchestres Africa 70’s et Egypt 80’s, Oghene Kologbo à la guitare et Chief Udoh Essient aux talking drums.

Muyiwa Kunnuji & Osemako

Mo Juba O est sorti le 25 mars dernier, exclusivement au format numérique. Vous pouvez donc retrouver l’album sur les principales plateformes de téléchargement (iTunes, Amazon, Google Play…) et de streaming (Deezer, Spotify). Si vous tenez vraiment à vous procurer l’album physique, il n’y a qu’une seule solution – mais qu’elle est douce ! – aller écouter Muyiwa Kunnuji en concert, ce qui parait désormais une nécessité impérieuse !


Mo-Juba-O (Muyiwa Kunnuji)


Année : 2016
Label / référence :
Personnel : Muyiwa Kunnuji, Tom Pablo Gareil, Nicolas Sakelario, Fab Smith, Francois Estassy, Daniel Levy, Fatna Chaibi, Jean-Baptiste Saint-Martin, Shola Bankole, Jacques Fach, Julien Gimbert, Lucas Spiller, Swala Emati Smith, Dotun Bankole, Kayode Kuti, Tunde Oduleye, Tokunbo Odubanjo, Akinwunmi Olagunju, Eric Durand


Titres : 1. Mo Juba - 2. Olofofo - 3. Palapala - 4. Aradugbo - 5. Petit à Petit - 6. Pot and Kettle - 7. Everything that has Breath - 8. Ore Rerunrerun

En deux mots : Afrobeat connexion entre Lagos et Nîmes pour le premier album de Muyiwa Kunnuji, dernier trompettiste de Fela. Mojuba-O est sorti en 2016, avec Osemako, le soutien d'une partie des frères Smith, et quelques anciens d'Africa 70 et Africa 80, dont l'incontournable Udoh Essiet.

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