Parce qu’un ami m’avait prêté le CD, j’ai côtoyé pendant quelques semaines la musique de McCoy Tyner. Inlassables réécoutes. Plaisir jamais émoussé. D’abord le swing. Frais, clair un jour de ciel bleu. Le touché net et précis cisèle l’espace sonore comme une sculpture à milles facettes. Nul s points de préemption ; la musique s’impose, totale. Construisant écoute après écoute les lieux multiples de son territoire. Toujours le même questionnement. A quoi tient la persistance du plaisir d’écoute d’un morceau de musique ? Probablement à sa capacité à créer de l’espace.
“Kind of blue”. L’espace davisien est vaste d’emblée, aérien. Les notes distendues par tant d’espace créent cette ligne particulière, toujours imprévisible, mais dont on ne se lasse jamais de savourer l’efficacité. La prise de liberté est immédiate, autoritaire presque ; l’envol vertical et déjà les tensions naviguent en hautes sphères.
Dans “Passion Dance” la quête de la liberté est toute autre. McCoy Tyner semble défricher son propre espace intérieur. Terrain que l’on pressent vaste, il l’arpente, en éprouve les limites mais jamais à grandes enjambées. Comme le ferait un jardinier en arrachant une à une les mauvaises herbes, son jeu participe d’une démarche de clarification. Dans une sorte d’étonnement conscient à l’élargissement progressif de cet espace il pose les notes, ou plutôt semble découvrir les lieux de leurs épiphanies. Alors que chez Miles Davis la prise de liberté s’apparente à un envol, chez McCoy Tyner l’espace se construit autour d’un centre que l’on ne cerne qu’à force de multiplier les écoutes. Et le plaisir est toujours renouvelé parce que ce qui est donné à entendre n’est pas de l’ordre de l’inéluctable mais d’une occurrence de notes. Ces notes entendues dont je ne suis même pas sûr qu’elles sortent d’un instrument, mais dont je suis sûr qu’elles adviennent presque malgré la musique.
A écouter :
Kind of Blue – Miles Davis – 1959 chez Columbia
The Real McCoy – McCoy Tyner – 1967 chez Blue Note
