[Ut Musica] Adjusting, une autre temporalité de la musique

Adjusting - arnaud dolmen

Au Bananier bleu, quand on aime, on ne compte pas. Alain Joséphine nous livre à son tour son analyse inspirée du dernier opus d’Arnaud Dolmen, Adjusting.


C’est avec sobriété et une grande maturité qu’Arnaud Dolmen nous livre son deuxième opus. On le découvre alchimiste du temps et de l’harmonie tout au long de ces douze morceaux à la construction solide.

Dès le premier morceau le ton est donné. Deux saxophones sibyllins tracent la route, s’écartent pour se rejoindre à l’unisson. La contrebasse évite les temps forts, et demeure en suspens. Elle échange avec l’un des ténors, avant que ne les rejoigne la batterie d’où l’on devine un tak pitak pitaktak qui sous-tend l’édifice rythmique.­­

­Le titre « SQN » est à l’image de tout l’album : des pièces harmoniques et rythmiques se rencontrent, s’adoubent, se côtoient. Des sonorités se conjuguent avec d’autres sonorités. La temporalité même de la musique semble vaciller tant elle est, à tous moments, questionnée, et cela, jusqu’à la coda.

« Cavernet » donne une spatialité nouvelle à ce qui semble être une balade. Mais la mesure du temps est multidimensionnelle, et ce n’est pas à une lecture linéaire que nous sommes conviés, mais à une expérience de l’espace dont la perception est tendue entre le quotient et/ou le produit des temps. C’est en effet dans une distorsion de la mesure temporelle que la musique se déchiffre alors, comme une production spatiale.

Adjusting s’offre à l’écoute comme une grande expérience qui livrerait à la fois son processus et son résultat.

Dans « For real », nous voilà projetés à l’intérieur du band, coincés entre des instruments qui projettent, avec l’intensité d’un Sacre du Printemps, l’inattendu sonore, toujours au détour de la mesure qui s’amorce.

C’est que la musique d’Arnaud Dolmen est construite moins comme le développement d’un thème ou d’un énoncé harmonique, que comme une construction à partir de la matière sonore elle-même. Le timbre de chaque instrument invité (voix, accordéon, flûte) étant la variable ajustable. C’est la matière du son qui nous fait voyager, à l’instar de cette ascension vertigineuse du chorus de flûte dans « Résonance ».

Là où la maturité d’Arnaud Dolmen se fait le mieux sentir, c’est donc dans la construction. Les pièces musicales sont comme de grandes cathédrales gothiques, dont l’élévation repose sur l’équilibre des forces. Le plein et le vide rythment avec égalité l’espace. Ici, l’équilibre est maintenu entre le silence et la présence du son ; l’un et l’autre étant objets de prestidigitation du batteur.

On retrouve d’ailleurs cette solennité de cathédrale, grave dans « Ka sa té ké bay ». Comme des vitraux que l’on découvrirait, découpés dans l’ombre des lieux, le motif hiératique du morceau se décompose peu à peu en parcelles rythmiques lumineuses. Elles se recomposeront à nouveau, un peu plus loin, sous la lumière de superbes accords dissonants.

Il y a une puissance tellurique qui commande à l’édification de tout le projet. Celle que l’on ressent dès que l’on pose le pied sur cette île de Guadeloupe. Mais chez Arnaud, cette énergie confère à l’élévation de l’âme, tant sa musique semble refléter la complexité et la beauté du monde en permanents ajustements.



Ut Musica Poesis - Alain Joséphine

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