Après l’expérience Maggnetick dans les années 90, Franck Nicolas a jeté les bases de son mariage entre le jazz et le gwoka, sa “Jazz Ka Philosophy”. En 2002 paraissait le premier album de la série, enregistré à New York avec Alain Jean-Marie, Jacques Schwarz-Bart, Magic Malik, Lonnie Plaxico, Joby Julienne, Luis Allèbe Montjoly de Montaigne et Sonny Troupé. Tout de même ! Les fondements étaient posés, et de quelle manière. L’inspiration de Franck vient de ses racines antillaises multiples, indiens Caraïbes et esclaves africains, et se décline dans les rythmes du gwoka, l’utilisation de la conque à lambi ou de la flûte amérindienne. Mélangé au jazz – et en particulier à son admiration pour Miles Davis – il en est donc sorti cette “Jazz Ka Philosophy” qu’il décline depuis sous ces formes les plus variées. Avec Papillon Ka, il explore la formule minimale du trio, voire du duo. Il monte une fanfare ka qui défile régulièrement dans les festivals du sud de la France – et dont l’enregistrement est prévu incessamment. En 2010, il consacre un volet complet de Jazz Ka Philosophy à l’utilisation des conques, préparées avec perfection par Martial Rancé. Pour cet album, Kokiyaj, il s’appuie sur Alain Jean-Marie qu’il arrive même à asseoir derrière un Rhodes ! L’idée de pousser le concept jusqu’au bout n’était plus très loin. Elle va se concrétiser dans les deux derniers disques parus à ce jour dans la série : Trio Zalizé et Psychédélick Trio.
Un pari osé. Ne s’appuyer que sur la basse pour soutenir et harmoniser un disque de jazz-ka. Il n’y avait qu’un seul moyen de s’en sortir, faire appel au plus polyvalent, acrobatique et virtuose des bassistes d’aujourd’hui, l’unique Michel Alibo. C’est lui le pilier de ce Trio Zalizé, appuyé également par un Sonny Troupé prolifique, chargé de remplir l’espace, ce qu’il fait avec un rare bonheur. Une fois la base assurée, Franck, libéré, peut s’exprimer sans contrainte. Dès “Kanoa”, premier morceau de l’album, le ton est donné, et le vertigineux quatre/quatre entre Michel et Sonny situe d’emblée un album certes extrêmement technique, mais justement parfaitement écoutable et abordable, la marque des grands. Franck alterne conques et trompettes, place des ballades pour nous laisser souffler et mieux repartir ensuite, et brode des mélodies toujours attachantes qui font sa marque depuis le début. L’Afrique fait aussi une entrée marquée dans ce volume de Jazz Ka Philosophy. D’abord sous la forme des voix qui parsèment l’album, du Congo au Cameroun, avec le grand Emmanuel Djob, la prometteuse Ariane Nsilulu-Osseby ou encore Soliac Matsimba. Je n’oublie pas que le fidèle Sylvain Padra ramène également la Martinique sur Trio Zalizé ! Et puis dans les compositions, avec ce “Taxi-Brousse” qui nous emmène sur les pistes d’Afrique centrale, et pour lequel Michel Alibo a puisé dans les souvenirs de son adolescence à Douala. Un pari gagné donc, qui fait de ce Trio Zalizé sans nul doute l’un des volumes les plus énergisants de la série (mais attendez la suite !). On prend un réel plaisir à profiter de l’exubérance des trois complices, utilisant l’espace qui leur est offert, apparemment presque sans contraintes… Et pourtant !
Après la basse, les claviers. Toujours en trio, Franck voulait explorer les possibilités quasi sans limites de quelques vieux claviers mythiques comme le Rhodes et surtout le Moog. Il en a confié les clés à l’excellent Grégory Privat, jeune pianiste à la palette à la fois technique et sensible, et avide de nouvelles expériences. À charge pour lui d’assurer de plus les basses – droits et devoirs ! Du côté des fûts, Franck est allé chercher Arnaud Dolmen, par ailleurs jeune prodige, élevé à l’école de Sonny Troupé, et aussi membre à part entière de cette jeune génération de musiciens antillais qui écument ces dernières années les clubs de jazz parisien, tout en étant régulièrement appelés par leurs ainés et mentors pour les accompagner sur les scènes du monde. Bref, du beau monde pour constituer un Psychédélick trio d’exception. L’album s’ouvre sur « Rovélas », et d’ailleurs l’album est dédié à ce grand peintre guadeloupéen dont les œuvres illustrent depuis le début de la Jazz-Ka Philosophy les couvertures de Franck. Boulagyel et Moog pour ouvrir le bal… Mélange improbable, mais qui prend d’emblée ! Ce Psychédélick Trio navigue entre gwoka, jazz et biguine, entre virtuosité et mélodies – vous fondrez probablement sur « Schabines Land », avec aussi Sylvain Joseph au saxophone. Il y a souvent un brin de nostalgie dans les compositions de Franck, mais aussi de l’urgence et ici en plus l’influence nette de la fusion qui rappelle les premières inspirations de Maggnetick. Le titre « Psychédélick Moustick » en est l’illustration parfaite. Et puis d’ailleurs, sur la transe de « Mangrove Groove », on retrouve l’excellent Pascal Corriu à la guitare, retour des anciens complices ! Un disque riche et diversifié, qui alterne savamment les humeurs pour vous déposer au bout du voyage, des images plein la tête, sur une petite surprise qui referme avec grâce un album tout en couleurs.
- Trio Zalizé (2012) – Franck Nicolas avec Michel Alibo & Sonny Troupé – invités Sylvain Padra, Emmanuel Djob, Ariane Nsilulu-Osseby et Soliac Matsimba.
- Psychédélick Trio (2013) – Franck Nicolas, avec Grégory Privat & Arnaud Dolmen – invités Sylvain Joseph, Pascal Corriu et Frantz Fléreau.
Retrouvez Franck Nicolas sur son site : http://www.francknicolas.com et contactez le directement pour acheter les albums. Et pour l’écouter en live, Franck sera en concert avec Psychédélick, le 23 février prochain au Baiser Salé. Qu’on se le dise !
Ça donne envie de se jeter à corps perdu dans les profondeurs de sa musique…