Jacques Schwarz-Bart élu meilleur saxophoniste français 2025

Le traditionnel palmarès annuel des musiciens de jazz a été publié ce mois par Jazz Magazine et Jazz News. Beaucoup de belles surprises, toutes méritées d’ailleurs, et parmi celles-ci, Jacques Schwarz-Bart a décroché la première place des saxophonistes français, devant les non moins excellents Adrien Soleiman et Géraldine Laurent. Nous profitons de l’occasion pour revenir avec lui sur une carrière on ne peut plus riche.

Cher Jacques, dans leur palmarès annuel, Jazz Magazine et Jazz News te décernent le titre de meilleur saxophoniste français pour l’année 2025. Même si, à mon avis, la notion de « meilleur » en musique (et en art plus généralement) ne me semble pas pertinente, c’est là indéniablement la reconnaissance d’un travail, d’un jeu, d’une carrière, d’une posture qu’il était temps d’afficher. Quel est pour toi l’importance de cette nomination et que représente-t-elle ?

Jacques Schwarz-Bart : En tant que compositeur et improvisateur de jazz, le plus clair de nos efforts sont faits dans l’ombre et l’isolation, et nous n’avons aucune idée de l’impact de notre travail. Parfois, on peut avoir le sentiment que personne ne nous voit ni ne nous écoute. Recevoir une telle distinction est très encourageant à cet égard. On se sent plus compris et soutenu. Cela est d’autant plus important pour quelqu’un comme moi qui vit loin de ses communautés d’origine : La Guadeloupe et la France. Néanmoins, je crois profondément que la plupart des artistes créent parce qu’ils en ont besoin. Je me souviens que durant le confinement du Covid, je n’ai joué avec personne pendant plus d’un an, et pourtant j’ai continué à pratiquer mon sax tout seul, et parfois dans l’obscurité totale lorsqu’il y avait des blackouts… Je continuerais de jouer du sax pour les étoiles si j’étais le dernier homme sur terre.

Si l’on prend de la hauteur par rapport à ta carrière, on est frappé par la diversité abordée au cours de ces années. Mais elle représente en fait un parcours historique, voire initiatique, souvent personnel. Tout commence en Guadeloupe…

JSB : Oui. J’ai commencé à quatre ans assis sur un petit Bwa Fouyé que m’avait confectionné Carnot. Vers 6 ans, on m’a offert une guitare qui m’a permis en autodidacte de comprendre l’harmonie du jazz. Et quand j’ai finalement rencontré mon instrument principal, le sax ténor, je suis parti auditionner avec succès à l’école de Berklee. Ma carrière elle-même est passée par le latin Jazz (Giovanni Hidalgo, Danilo Perez, Roy Hargove Crisol), le Jazz américain (Roy Hargrove, Ari Hoenig, Bob Moses, James Hurt, Jason Lindner, Yoron Israel), le compa (Tabou Combo), le Neo Soul (D’Angelo, Erikah Badu, Eric Benet, John Legend), la musique Gnawa (Karim Ziad, Majid Bekkas, Hamid El Kasri).

Je ne m’arrête jamais aux styles ni aux appellations. Je vais simplement vers ce qui m’inspire.

Et en tant que band leader, mes disques passent du Gwoka Jazz (Soné KaLa 1 &2, Abyss, 22), au Jazz Vaudou (Jazz Racine Haiti), en passant par le Jazz Américain (Immersion, The Art of Dreaming, The Harlem Suite), le Jazz/Soul (The Brother Jacques Project, Rise Above, Shijin), ou le jazz mélangé à la liturgie juive (Hazzan).

La grande décision de ta vie sera finalement de renoncer à une carrière tracée dans l’administration – et possiblement fructueuse – pour prendre le risque de te tourner vers ce qui te sert de moteur depuis le début, la musique, dans ton contexte personnel, familial, culturel. Tu pars donc pour Berklee au début des années 90. Les rencontres qui s’ensuivront seront immenses.

JSB : Pour quelqu’un comme moi qui ai commencé tard, j’ai toujours eu le complexe de l’imposteur où je ne me sentais pas digne des gens qui m’appelaient. Quelle ne fut pas mon excitation, mais aussi ma complète stupéfaction quand des gens comme Roy Hargrove ou D’Angelo m’ont appelé… J’ai joué avec beaucoup de groupes et des artistes qui ont forgé le jazz et la musique noire des dernières 30 années. Ensuite, le travail que j’ai fait il y a vingt a servi de référence à la nouvelle génération et j’en suis fier.  Je n’y pense pas beaucoup, car je suis concentré sur mes nouveaux projets. Mais de temps à autre, je regarde en arrière et je souris un peu, plus par incrédulité qu’autre chose d’ailleurs.

Le retour en Guadeloupe arrive au tournant des années 2000. Tu vas plonger tout ce que tu as appris dans ta culture personnelle, avec le gwoka, plus largement la Caraïbe et Haïti, ainsi que la culture Yiddish.

JSB : La connexion entre le gwoka et le jazz a commencé bien avant pour moi. Je portais en moi cet objectif dès que j’ai commencé le sax, car j’avais beaucoup écouté le travail de Gérard Lockel étant petit, et je savais qu’il y avait là un champ grand ouvert à développer, compte tenu de ma formation première de tambouyé. La première composition que j’ai écrite en arrivant à Berklee en 1990 s’appelait tout simplement Gwoka, dans la classe du grand Phil Wilson. Sa réaction fut immédiate. Il me garda après le cours et me dit : je ne sais pas d’où vient ta musique, mais il est clair que tu as quelque chose à partager avec le monde. Ce n’est que 15 ans plus tard que j’ai finalement sorti Soné Kala, après maintes expérimentations. Pour ce qui est de Hazzan, c’est un hommage à mon père qui syncrétise la musique liturgique juive de toutes origines (Européenne, Orientale, Africaine), à mes sonorités afro-caribéennes.

Pour boucler la boucle, tu deviens professeur là où tu as appris, à Berklee. C’est à la fois pour transmettre et pour découvrir encore, auprès des nouvelles générations.

JSB : Pouvoir enseigner à Berklee après y avoir fait mes classes de 90 à 94 est une grande satisfaction. Je suis toujours profondément impliqué dans la création de nouveaux projets. Mais en même temps, être impliqué dans la transmission est très important pour moi. Cela me procure le sentiment d’être utile à la société et de contribué à la solution. Depuis que je suis à Berklee, j’ai créé plusieurs ensembles auxquels j’enseigne le Jazz Afro-Caribéen, la musique de Roy Hargrove, celle de D’Angelo, et aussi la mienne. J’essaie d’être un ambassadeur des différentes histoires musicales que j’incarne aujourd’hui.

Depuis quelques années, tu multiplies les projets et cultives le grand écart : en duo intimiste avec Grégory Privat, au sein du collectif Black Lives, sur tes projets personnels comme Harlem Suite. Quel est le lien qui anime tous ces projets ?

JSB : Le lien entre tous ces projets, c’est la quête du dépassement de soi, afin de pousser les limites de mon entendement et de mon expression. De plus, j’essaie de faire tout simplement des projets qui me passionnent. Non seulement pour ma joie personnelle. Mais aussi, car je sais que seule l’émotion authentique peut générer le type d’art qui m’intéresse, celui qui perdure, et dont je serai fier sur mon lit de mort.

Aujourd’hui, un certain nombre de musiciens antillais, dont tu fais partie, sont (enfin) reconnus au plus haut niveau du jazz français et international (avec Grégory, Mario, Sonny, Arnaud…). On a envie de dire qu’il était temps. Cela vous honore, et cela vous oblige en même temps. Comment vois-tu cela ?

JSB : Il était temps en effet. Pour moi, nos traditions caraïbes sont des richesses qui donneront naissance à des talents internationaux pour les générations à venir. D’ailleurs l’avenir est la créolisation et au métissage. De ce point de vue, nous avons au moins quelques longueurs d’avance sur le reste du monde, et cela se ressent dans tous les domaines : l’art, les disciplines académiques et bien sûr le sport. Nous sommes la définition du Tout |Monde : ancrés dans nos identités et ouverts sur le monde.

Pour terminer, quels sont tes projets pour l’année qui arrive ?

JSB : Comme tu l’as mentionné, je viens de sortir un disque avec Gregory Privat intitulé 22. Et en février, je vais enregistrer un trio avec Arnaud Dolmen et Reggie Washington, mes deux collaborations les plus anciennes et parmi mes amis les plus proches. Ce trio se focalisera sur des morceaux dédiés à la lutte contre l’oppression, et s’intitulera Trio Freedom, avec comme sous-titre, Resistans. Il devrait sortir à la fin du printemps 2026.

Propos recueillis par Christophe Jenny – décembre 2025

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