A l’arrière de la pochette, Grégory Privat prend la pose. Celle de la célèbre photo de Cyparis, héros malgré lui, l’un des rares rescapés de l’éruption de la montagne Pelée et certainement le plus connu d’entre eux, montré dans les cirques, exhibé comme une bête ou un monstre… Cette histoire a bercé – hanté ? – l’enfance de Grégory comme celle de nombreux martiniquais et a définitivement marqué l’histoire des Antilles, transmise, déformée, amplifiée, réinventée de génération en génération. Et c’est ce thème qu’a choisi Grégory Privat comme fil rouge de son nouvel album, le deuxième sous son nom, « Tales of Cyparis ».
Avec ce nouveau disque, la musique de Grégory Privat gagne en humanité et en sensibilité – écouter la superbe ballade Far from SD. Après le très technique « Ki Koté », le pianiste privilégie ici la mélodie, varie ses sources d’influences et enrichit l’orchestration et les arrangements. L’album est ponctué par les textes, dits par l’extraordinaire voix de conteur de Joby Bernabé, qui racontent l’histoire de Cyparis et s’appuie toujours sur l’excellente paire rythmique formée par Arnaud Dolmen et Sonny Troupé, bien évidemment, on reste avant tout ancré dans la Caraïbe. Mais pour le reste, on sort des Antilles et on élargit la palette.
A la guitare, Manu Codjia apporte ses couleurs variées tout au long de l’album. A l’unisson sur certains thèmes, par touches discrètes mais toujours judicieusement choisies sur d’autres, il donne de l’épaisseur aux compositions de Grégory. Celles-ci lui laissent d’ailleurs la part belle dans des chorus inspirés, parfois metheniens – mais pas que, entre jazz et rock, et dans un dialogue toujours complice avec le piano, tant dans les ballades que pour les moments de virtuosité.
L’une des révélations de l’album est aussi la présence de Gustav Karlström, fils émérite d’Elisabeth Kontomanou. Sa voix légèrement écorchée et les arrangements de Grégory – sur Precious Song d’abord, mais encore plus sur la reprise finale au Rhodes de Four Chords – donnent à ces morceaux de véritables allures de « Songs in the Key of Life ». Stevie, si tu nous entends…
Avec la présence d’un quatuor à cordes – sur Ritournelle, celle du percussionniste brésilien Adriano Tenorio DD – à retrouver également prochainement dans l’album du trio CAB avec Mario Canonge et Blick Bassy, et le choix du contrebassiste tchèque Jiri Slavik – de formation classique, il a entre autres joué sous la direction de Sir Colin Davis, Grégory Privat a fait le choix délibéré d’ouvrir sa musique à d’autres horizons, et cela lui a fort bien réussi.
Au total, « Tales of Cyparis » est une très belle surprise, dans laquelle Grégory Privat confirme aussi bien la technique époustouflante que l’on avait découverte dans « Ki Koté » que la diversité de ce qu’il nous fait régulièrement entendre en tant que sideman auprès de Sonny Troupé, Franck Nicolas, Jacques Schwarz-Bart et tant d’autres (de plus en plus d’ailleurs). Plus encore, « Tales of Cyparis » a également une âme, jazz bien sûr, qui laisse présager du meilleur pour la suite.
Tales of Cyparis (Grégory Privat)
Année : 2013
Label / référence :
Personnel : Manu Codjia, Jiri Slavik, Arnaud Dolmen, Sonny Troupé, Adriano Tenorio Dd…
Plus d’information sur le site de Grégory : http://www.gregoryprivat.com