Etienne Mbappé, How Near How Far et mille autres choses…

Étienne Mbappé présente How Near How Far, le nouvel album sous son nom, qui sort chez Abstract Logix ce mois-ci. Quatre ans après le dernier opus de Su La Také, Pater Noster, Étienne revient donc, mais avec une nouvelle formation, the Prophets, et de nouvelles orientations. Le bassiste explique que ces dernières années, il avait de plus en plus ressenti le besoin de composer de la musique instrumentale et pas seulement des chansons. Sortir du carcan couplet – pont – refrain et laisser de la place à une composition plus libre, plus riche. Il a aussi délibérément choisi de monter une formation étoffée et atypique à la fois, privilégiant le sens de la musique sur les contraintes étriquées du marché actuel de l’industrie musicale. Et il a fort bien fait ! The Prophets est ainsi un groupe à géométrie variable, dont la diversité permet arrangements et combinaisons en tous sens.

Mais qui sont donc ces Prophets alors ? Pas des inconnus, loin de là. Étienne Mbappé a rassemblé des compagnons de route, plus ou moins récents, mais tous irremplaçables ! A l’image du vétéran Hervé Gourdikian, rencontré dans les années 90 autour de Liane Foly, compagnon de nombreuses expériences dont évidemment, Chic Hot. « Si Hervé ne peut pas jouer, je préfère me passer de saxophoniste » précise Étienne, c’est dire ! De Su La Také, on retrouve Nicolas Viccaro à la batterie, époustouflant, Clément Janinet au violon, lumineux, et Christophe Cravéro, multi-instrumentiste agaçant de facilité, employé ici au piano – mais susceptible sur scène, de saisir un deuxième violon ! Enfin, de ses expériences récentes, Étienne a ramené Anthony Jambon à la guitare et Arnaud de Casanove à la trompette. Des choix de première classe.

Etienne Mbappé & the Prophets

Depuis la fondation du groupe, il y a tout juste deux ans, Étienne Mbappé & the Prophets ont joué, re-joué et joué encore, utilisant comme à leur habitude – et avec la complicité de Maria – le Baiser Salé comme résidence laboratoire. Étienne a intégralement composé le nouveau répertoire de l’album, écrit spécialement pour la formation dont l’une des grandes particularités est donc de mélanger un violon aux deux cuivres, pour une section rarement entendue, mais dont les sonorités se complètent à merveille et apportent des combinaisons nouvelles et inventives.


How Near How Far (Etienne Mbappé)


Année : 2016
Label / référence : Abstract Logix (ABLX 055)
Personnel : Etienne Mbappé, Hervé Gourdikian, Arno de Casanove, Christophe Cravéro, Clément Janinet, Anthony Jambon, Nicolas Viccaro


How Near How Far démarre sur les chapeaux de roues et, de John Ji à Lagos Market, vous laisse sans voix. En patron, la basse d’Étienne trace le chemin, tout en puissance, parfois un peu slappée, toujours urgente. Clément Janinet apporte au violon des couleurs qui modèlent le paysage, comme ses bribes modales d’Afrique du Nord sur Bandit Queen. Il faut attendre le morceau titre, How Near How Far, pour reprendre sa respiration. Le titre est inspiré par le monde actuel et les migrations forcées de ces déplacés qui tentent l’aventure dangereuse de la traversée de la Méditerranée, souvent à l’aveugle – loin ou proche ? On ne sait pas. Cette interrogation fait écho à l’angoisse des parents dont les enfants sont partis, risquer leur vie pour s’en sortir. Le titre est tiré des paroles de la chanson Shine On You Crazy Diamond, de Pink Floyd : « Nobody knows where you are, how near or how far. Shine on you crazy diamond ». How Near How Far est surtout une très belle ballade qui donne à Christophe Cravéro et à Anthony Jambon l’occasion de poser des chorus délicats et mélodiques à merveille.

L’accalmie est de courte durée avec Make It Easy, un titre funk à souhait, dont les harmonies lorgnent aussi vers le moyen orient. Suit un hommage à Astor Piazzolla, Milonga in 7, tango rapide dans lequel on croirait presque entendre l’accordéon, dans la combinaison du violon avec la trompette et le saxophone. La technicité des Prophets éclate dans Bad As I’m Doing, jazz rock heurté, précision des breaks, échanges vifs et millimétrés entre musiciens, bref, de haut vol. Mang Lady est l’une des deux reprises de Su La Také présentes sur l’album. D’abord parce que dans les débuts du groupe, faute de répertoire propre, ce titre était fréquemment repris sur scène. Mais pour How Near How Far, Mangledi – de son titre original – a été réarrangé, amplifié, reconstruit en transe qui monte au long du morceau et prépare à Assiko Twerk, groove bassa traditionnel infernal, repris aux bouteilles par Nicolas Viccaro lui-même, qui donne ici toute la mesure de son talent et de son énergie.

Le contraste avec Day Message est d’autant plus saisissant. En hommage à Joe Zawinul, avec lequel il a partagé une partie de l’aventure du Syndicate, et en réponse au Night Passage de Weather Report, Etienne joue à fond la carte d’un swing qui semble éternel et dans lequel les Prophets se glissent avec délice. L’album se referme sur Musango Na Wa, balade acoustique venue elle aussi de Su La Také, dans laquelle Étienne nous prend par la main à l’issue de ce voyage étourdissant et nous chante – Ah tiens ! – un message de paix et de douceur. Notez enfin qu’Étienne Mbappé & the Prophets seront en concert pour la sortie de l’album le 1er décembre prochain au Divan du Monde.

Repos !

Enfin pas vraiment, car Étienne Mbappé ne tient que rarement en place. Il faut donc également revenir sur tous les projets auxquels il participe par ailleurs. Il est désormais notablement connu qu’Étienne fait partie du quartet actuel de John McLaughlin. Cet été ils ont sillonnés les festivals de jazz en France, avec entre autre un passage très remarqué à Marciac. Aux USA, Étienne fait aussi partie des Ringers (avec Jimmy Herring, Wayne Krantz, Michael Landau et Gary Novak) et un album live doit sortir prochainement. Stay tuned ! Toujours en concert, Étienne vient d’enregistrer pour le trio du guitariste polonais Apostolis Anthimos, formé avec Gary Husband. Il y a quelques années, et grâce au contact de John McLaughlin, Etienne avait fait partie du trio Chingari, monté par U. Srinivas, ex-mandoliniste de Shakti. La fusion indo-camerounaise s’était concrétisée dans l’album Bombay Makossa, paru en 2014, malheureusement peu de temps avant la disparition de Srinivas. L’album est toujours disponible et mérite largement le détour.

Plus près de nous – c’est-à-dire, enregistré en France, c’est Ray Lema qui a récemment fait appel à Étienne Mbappé pour son projet en quintet. Le groupe a tourné depuis quelques années, et un album a finalement été publié cette année, Headbug. Et « prise de tête », ce disque n’en est absolument pas une ! Bien au contraire. Le musicien congolais, dont on ne présente plus le parcours immense entre jazz et Afrique,  propose un album riche et chaleureux, invitation au voyage, et pour lequel on retrouve de nouveau Nicolas Viccaro à la batterie, ainsi qu’Irving Acao au saxophone et Sylvain Gontard à la trompette. On oscille du jazz rock au swing, on touche au latin, à l’afrobeat et au Brésil (Samba De Uma Nota So et Mira). Mélodies et arrangements soignés. On apprécie l’invitation inattendue faite à Manu Dibango au marimba sur un No Hiding qui fleure le meilleur afro-jazz. Headbug est paru en mai dernier, et n’est que l’un des projets actuels de Ray Lema qui prépare tout prochainement la sortie de l’album Riddles, duo de piano avec Laurent de Wilde. Autre voyage harmonique où les influences et les racines des deux pianistes se croisent, se mêlent et s’accompagnent, du Congo à Bach, en passant par Prince et la Nouvelle Orléans.

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