Black Lives – From Generation to Generation

Black Lives - From Generation to Generation

La musique a toujours été un vecteur – efficace – de messages, qu’il s’agisse d’amour, de politique, de prise de conscience, d’esthétique, de révolution… Le projet Black Lives – From Generation To Generation, monté à l’initiative de la productrice Stefany Calembert n’y fait pas exception et en utilise au contraire toute la puissance. Dans la lignée du mouvement Black Lives Matter qui avait vu le jour en 2013, « it represents an opportunity for us as musicians to make our voices heard concerning the subject of systemic racism in the World. In history, many of our musical legends have spoken out against racism through their compositions. Plus, music is a form of medicine able to change even the coldest of hearts! » précise Reggie Washington, également à l’origine du projet. Stefany Calembert entend ainsi « donner aux […] musiciens l’opportunité de s’exprimer sur un album. […] Unissons-nous, combattons à travers notre musique et nos voix, donnons force et courage à tous ceux qui souffrent des inégalités et doivent les subir toute leur vie. »

Le projet est ambitieux et rassemble pas moins de vingt-cinq signatures, toutes plus talentueuses les unes que les autres, et réparties entre les États-Unis, les Antilles et l’Afrique. Le résultat est un double album – disponible en ligne, en CD et en vinyle – où chacun apporte, dans son propre style, sa pierre à l’édifice. On y passe du gwoka au rap, du blues au lyrique, de la fusion r’n’b à des bribes de free et de rock, à l’afro-jazz mandingue de Cheikh Tidiane Seck ou encore aux rythmes ancestraux du Bénin avec Yul… Bref, le voyage musical est autant diversifié que l’est l’approche du même message. Black Lives – From Generation to Generation constitue un fantastique kaléidoscope musical où chacun exprime son ressenti avec sa sensibilité personnelle.


Le pianiste martiniquais Grégory Privat ajoute : « C’est une nouvelle façon de mettre en lumière une triste réalité qui se passe aux États-Unis où plusieurs personnes noires sont abattues sans raison par les forces de l’ordre. La musique est une force et un moyen puissant de toucher les âmes. Si en tant que musicien, on peut contribuer à réveiller les consciences et changer les choses, il ne faut pas hésiter. Voilà pourquoi j’ai répondu présent à ce projet. » Avec Friendship, et ce don qu’il a de triturer les claviers électriques, tout en finesse, le pianiste a choisi de parler d’amitié « entre les hommes en général, quelle que soit leur couleur de peau. Le racisme n’est pas une maladie qui concerne une certaine partie de la population, mais bien une peur de l’autre, peur de la différence, que chacun d’entre nous peut développer ». Grégory a justement fait appel aux amis sur ce titre, où l’on retrouve Arnaud Dolmen, Franck Nicolas, Jacques Schwarz-Bart et Reggie Washington.

Le batteur Sonny Troupé rejoint ce point de vue, et met en avant cette occasion de s’exprimer « sur des sujets pas spécialement présents sur [ses] productions précédentes. Une opportunité dans un contexte où les couleurs musicales américaines, africaines se font entendre ensemble, et mélangées à celles de la Guadeloupe. Le fait d’y participer fut d’abord une belle surprise, mais surtout, c’est un honneur pour moi d’être aux côtés de tant de musiciens d’origines différentes, réunis pour cette belle cause. » Le titre Sa nou yé / Be proud est une composition originale pour ce projet, qui traite de « l’universalité des luttes, des souffrances, mais aussi des victoires passées et à venir. Un optimisme quant à demain. » Pour l’accompagner, Sonny s’appuie sur deux amis talentueux, Stéphane Castry (b) et Ralph Lavital (g), à la croisée du Gwo Ka, du jazz et du groove.

Black Lives - From Generation to Generation

De son côté, l’ex-bassiste des Five Elements de Steve Coleman et du RH Factor de Roy Hargrove, est à la manœuvre sur deux titres résolument disruptifs, modernes, innovants et tout en urban groove. Tout d’abord, Reggie Washington invite Alicia Hall Moran et son univers lyrique sur le titre Walk. « I asked Alicia to sing about her twin sons (14 years old) sending them off to school in the morning in this toxic climate hoping they get back home in one piece. I played off of the emotion I felt from her as DJ Grazzhoppa brought in & out sample ideas we had put together beforehand. » Mais le message prend toute sa force avec Pre-existing conditions : « Oliver Lake went straight to the point in his piece about George Floyd. It’s a hard & disturbing text about the murder of George Floyd in Minneapolis. DJ Grazzhoppa & I were trying to simulate chaos in the track. I wanted to channel the bassists, Maestro Ron Carter and Eric Revis & create “running chaotic bass”! I think we were successful. »

Parmi les musiciens caribéens présents sur le projet, Jacques Schwarz-Bart, installé aux États-Unis depuis trente ans, est probablement l’un des plus sensibilisés. « Suite à l’élection de Barack Obama, on a entendu des discussions pleines d’espoir, et peut-être de naïveté, sur la venue d’une ère de post-racisme, une heure où le racisme serait une notion dépassée. Néanmoins, très vite, on a dû déchanter, assistant à une levée de bouclier venue des éléments les plus conservateurs de cette société. Des milices d’extrême droite ont vu le jour un peu partout. Des actes de racisme et d’antisémitisme se sont multipliés. Et nous avons pu assister à l’élection de leaders tels que Trump, sur la base d’un programme xénophobe et antidémocratique, dont le paroxysme fut cette tentative de coup d’État du 6 janvier [2022 – NDLR]. Il est clair que cette menace antidémocratique accompagnée de haine raciale est un mouvement international qui n’épargne aucun pays. Comment fermer les yeux et croiser les bras face à tout cela ? Comme le dit si bien Elie Wiesel, être neutre face à l’injustice, c’est donner le pouvoir à l’oppresseur. »

Jacques intervient sur plusieurs titres de l’album (Phenomenon, Higher, Friendship), mais en a en particulier composé un, intitulé Dreaming of Freedom (For Tony). « Ce titre a été inspiré par une conversation avec un vieil ami qui soutient ma musique depuis longtemps. J’ai appris qu’il y a une quinzaine d’années, il est sorti de prison après plusieurs décennies d’incarcération injuste. J’ai été très ému par son récit et nous avons décidé ensemble que j’écrirai un morceau dédié à ses jours et ses nuits interminables passées à attendre sa liberté. Il va sans dire que sa tragédie personnelle est aussi une métaphore collective du crime contre l’humanité que fut l’esclavage. Le morceau commence avec une couleur obscure et douloureuse, puis le thème, lent mais lumineux, intervient comme un regard vers le ciel, à travers la lucarne d’une cellule de prison. Et c’est là que commence le rêve de liberté qui se développe comme un hymne à la joie, avant de revenir à la réalité de l’incarcération. » Si le titre n’a pas été écrit spécialement pour l’album, il se trouve que Jacques était en train de le composer, lorsque Stefany Calembert et Reggie Washington l’on contacté. C’était l’occasion ! « Dreaming of Freedom a été enregistré durant, la période du Covid, où personne ne voyageait et où tous les studios étaient fermés. J’ai donc écrit avec le plus possible de détails, une partition qui permette à Grégory Privat d’enregistrer au métronome une piste de piano. Celle-ci a servi de référence aux interventions musicales successives de la basse, de la batterie, et enfin du saxophone et de la voix. J’ai fait appel dans ce processus, à mes fidèles compagnons de route Arnaud Dolmen à la batterie, Reggie Washington à la basse, et bien sûr Stephanie McKay qui intervient pour porter la mélodie aux nues au moment de son ascension finale. »

Le message est d’autant mieux entendu que le support est de qualité. C’est ce qu’ont bien compris Stefany Calembert, Reggie Washington et tous les artistes présents sur le projet. Le résultat est une formidable plongée dans les musiques actuelles, articulée autour d’un jazz à la fois contemporain, innovant et profondément ancré dans les traditions, que ce soit celle du blues, des griots africains ou du gwoka guadeloupéen. Les talents convoqués n’y sont pas étrangers, et à ceux interrogés ici, il faut ajouter entre autres le saxophone de Marcus Strickland ou Immanuel Wilkins, les voix de Tutu Poane, Stephanie McKay, Lydia Harrell, les claviers de Federico Peña, Michael King, les guitares de Marvin Sewell et Jean-Paul Bourelly… Black Lives – From Generation to Generation est définitivement le projet musical et sociétal du moment à ne manquer sous aucun prétexte.


From Generation To Generation (Black Lives)


Année : 2022
Label / référence : Jammin' Colors
Personnel : Cheick Tidiane Seck, Immanuel Wilkins, David & Marque Gilmore, Sharrif Simmons, Stephanie McKay, Andy Milne, Sonny Troupé, Reggie Washington, Alicia Hall Moran, DJ Grazzhoppa, Adam Falcon, Jeremy Pelt, Gregory Privat, Marcus Strickland, Christie Dashiell, E.J. Strickland, Oliver Lake, Jacques Schwarz-Bart, Gene Lake, Frederico González Peña, Tutu Puoane, Yul, Marvin Sewell, Jean-Paul Bourelly


Titres : 1-1 - Cheick Tidiane Seck - Sanga Bô / 1-2 - Immanuel Wilkins - Praying / 1-3 - David & Marque Gilmore Ft. Sharrif Simmons - We Are Here / 1-4 - Stephanie McKay - Phenomenon / 1-5 - Andy Milne & Unison Ft. Kokayi, Georgi Heers & Zekkeraya El Magharbel - Togged To The Bricks / 1-6 - Sonny Troupé - Sa Nou Yé / Be Proud / 1-7 - Immanuel Wilkins - Dancing / 1-8 - Reggie Washington / Alicia Hall Moran / DJ Grazzhoppa - Walk / 1-9 - Adam Falcon - Colored Man Singin The Blues! / 1-10 - Jeremy Pelt - Anthem For A Better Tomorrow / 2-1 - Gregory Privat - Friendship / 2-2 - Marcus Strickland Ft. Christie Dashiell - Matter / 2-3 - E.J. Strickland - Language Of The Unheard / 2-4 - Oliver Lake / Reggie Washington / DJ Grazzhoppa - Pre-Existing Conditions / 2-5 - Jacques Schwarz-Bart - Dreaming Of Freedom (For Tony) / 2-6 - Gene Lake Ft. Frederico González Peña - Back & Forth / 2-7 - Tutu Puoane - From The Outside In / 2-8 - Yul (7) Ft. Stephanie McKay - Higher / 2-9 - Marvin Sewell - A Hero's Journey / 2-10 - Jean-Paul Bourelly Ft. Terence "Sub Z" Nicholson - Masters Of Mud (Shape Shifting)

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