Originaire de Sainte-Rose en Guadeloupe, Robert Oumaou crée dans les années 70 le groupe Gwakasonné. Cette formation de ka évolutif reste à ce jour incontournable dans le registre ka évolutif. Des titres tels qu’Algérie 62 interprété par Martine Sylvestre en hommage aux soldats guadeloupéens partis pour le front ou encore Tanbou, magnifiquement chanté par Gérard Elice, qui se fait alors le porte parole de la révolte contre un arrêté municipal interdisant la pratique du gwoka dans les lieux publics de Pointe-à-Pitre, sont de véritables chefs d’œuvre qui se bonifient avec le temps comme les grands crus.
Après la réédition des albums de Gwakasonné l’an dernier, on s’attendait à un nouvel album du groupe. Surprise ! C’est un album solo que le multi-instrumentiste, auteur-compositeur Robert Oumaou propose : «Sang comment terre». Pour cette œuvre réalisée et produite par Golden Ears Label : titre, visuels et thématiques « choc ». Le ton est donné : par un artiste atypique qui ne mâche pas ses mots face aux maux de ce monde… Ames insensibles s’abstenir ! Kareen Fleming, pour An Tout Sos Concept, a rencontré l’artiste.
Sang Comment Terre (Robert Oumaou)
Année : 2007
Label / référence :
Personnel : Robert Oumaou, JM Lurel, E. Renoux, Nathalie Jeanlys, H. Balthus, Sonny Troupé, D. Hippon, Jean-Claude Descieux, Olivier Vamur, M. Sylvestre, Kolimaya, F. Ladrezeau, G. Coco, Klod Kiavué, Luther François, A. Thams, G. Elice…
Kareen Fleming : La réédition des albums de Gwakasonné l’an dernier, était-elle le chant du cygne ? Gwaka la mò ?
Robert Oumaou : Il y aura un prochain album Gwakasonné, « Klaska ». La réédition n’était pas du tout un chant du cygne, mais plutôt un signe des temps. Seulement je suis du projet et de nature assez patient alors je prends le temps d’organiser en amont. Pour ce qui est de l’enterrement du G.K.S. il va falloir ranger les habits… désolé.
KF : Un visuel choc, un titre tout aussi frappant « Sang comment terre »… Dîtes-nous en plus sur cette œuvre qui est votre premier album solo ?
RO : Deux victimes du même fléau ! L’inégalité du partage des richesses de la planète, nous a conduit à ce fameux spectacle vivant. Le fossé se creuse chaque jour d’avantage et la Guadeloupe sur sa place principale affiche d’une manière qui nous était jusqu’ici inconnue et sans embarras, la fierté d’appartenir à « ce grand concert de nations civilisées ». Pour cela « l’essentiel est devenu facultatif » car l’argent et le profit imposent le rythme et donnent le ton de la chanson que tout le monde reprend en chœur sans même avoir vérifié les accords. Seulement, malgré le flou artistique si pernicieusement orchestré, la question reste posée : « S’achemine t-on vers le noir total avec pour seul témoin le rouge du sang, ou bien existe-t-il encore des hommes sur cette planète ? La terre nous le dira ! En attendant c’est arrêt sur image risque de me coûter d’être jugé pour « prise d’intérêt » ou « flagrant délit d’observation ».
Par ailleurs, j’invite tous ceux qui ont travaillé avec moi sur cet album à réfléchir à la nécessité pour nous dans le domaine artistique de contribuer à l’élaboration d’un dénominateur commun : un accord spirituel hérité du passé afin que l’art retrouve toute sa fonction sociale, ici et maintenant; pourquoi pas ?
KF : Dans le livret, deux textes informent sur les méfaits de la malnutrition pour les enfants – rachitisme dans les pays sous-développés et obésité dans les pays développés- pourquoi avoir choisi de mettre en avant cette thématique ?
RO : Parce que je suis choqué – parce que la réalité du monde d’aujourd’hui me donne envie de vomir. Surprofit, nouveau Dieu et maître à penser font que :
- 840 millions de personnes sont sous-alimentées (799 dans les pays en voie de développement)
- 6 millions d’enfants de moins de 5 ans périssent chaque année des conséquences de la faim
- 1 personne sur 5 dans le monde subsiste avec moins de 1$ par jour
Et en Guadeloupe ? Acceptez d’ouvrir les yeux tout simplement. Enlevez vos masques.
KF : Hormis quelques titre et notamment le titre “Lévé o ka”, magistralement interprété par Gérard Elice dans la « pure tradition Gwakasonné », on a le sentiment d’un changement de direction au niveau de vos créations musicales.
RO : Ce n’est pas vraiment un changement de direction, c’est un complément d’information puisque sur cet album, il existe des titres qui avaient été composés bien avant “Lévé o ka”.
KF : “Piti ké gran”, le titre phare de l’album, est dédié à Marielle Custos et aux Ti sapoti de l’époque. Nostalgique ? Dites-nous un peu plus sur ce titre ?
RO : Cette chanson à 30 ans d’âge – je n’y ai retouché que quatre mots. Elle était chantée par Marielle Custos. La troupe Ti Sapoti dirigée par Suzy Palatin était composée de bon nombre d’enfants. J’en étais le coordonnateur et responsable artistique (photographie, musique, poésie, etc…). Il avait Franck Custos, Medhy Custos, Aminata Bory et sa sœur, Marylène et Evelyne Troupé, Irène Bicep et bien d’autres. A ce moment-là le problème de la pollution était déjà posé. La « planète poubelle » ne date pas d’aujourd’hui. Maintenant, les gens réagissent autrement car ils sont touchés dans leur chair. Donc le mouvement de panique est certain. Mais, attendons de voir. Le profit a plus d’un tour dans son sac, et l’homme est-il encore capable de dire NON ? QUI VIVRA VERRA, QUI… En attendant : …atone…aphone…détonne…clone, déconne. “Lévé o ka” est pour sa part dédié à Sonny Troupé…
Sonny et moi… C’est une très longue histoire presque sans paroles. Il devait avoir entre 3 et 4 ans quand je lui ai fabriqué son premier ka, KASONIKÉSONNÉ, qu’il possède toujours. Donc “Lévé o ka” c’est pour lui, ou c’est lui. Nous sommes lui et moi les deux seul musiciens à avoir joué sur tous les titres de l’album et je n’ai jamais eu à lui dire ce qu’il fallait qu’il fasse.
KF : Qui est Eugène Gavarrin à qui vous dédiez le titre très bluesy Mr X ?
RO : C’était un homme debout ! Fier. Puissant. Il m’a appris la psychologie du pays Guadeloupe. Il a fini de m’apprendre la Guadeloupe. Son enfance à Saint Louis de Marie Galante… Le pays du début dès années 1900… L’histoire de la musique en Guadeloupe… Pourquoi il n’était pas parti comme les autres. Très musicien, excellent pédagogue. Les voyages… La guerre… Ses rencontres : Count Basie, Lionel Hampton, son camarade de chambre durant la guerre, le Harlem des années 50, l’histoire du jazz et des jazzmen. Le racisme à Moscou ce qui ne l’a pas empêché d’être 1er prix de Moscou à la flûte (il était multi-instrumentiste). Aussi, il était aviateur. Je m’arrêterai là ; donc vous comprendrez pourquoi il n’est et ne sera jamais cité en Guadeloupe. C’est pour cela que je titre cet hommage Mr X.
KF : Renaissance est dédié à Gérard Lockel : c’est un hommage au maître ?
RO : Lockel a travaillé sur un chapitre très important du gwo ka et il l’a mené de main de maître. Pourtant, j’ai du mal à lire la reconnaissance qu’on devrait lui attribuer, ça pose l’éternel problème dans ce pays qui consiste à toujours vouloir tuer le cuisinier à la fin du repas… Et à la lueur d’innombrables exemples qui me viennent à l’esprit dans des domaines très divers (culture, sport, recherche, etc…) une interrogation m’interpelle : le Peuple élu de la Guadeloupe a t-il déjà été choisi ou est-il en train de l’être ? Si tel était le cas ne voudrait-on pas uniquement de ce que nous avons et surtout pas de ce que nous sommes ?
KF : Qui sont « les enfants naturels de Colbert » ?
RO : Ils se reconnaîtront, ne vous en faites pas…
KF : Parlez-nous des nombreux artistes qui ont collaboré à la réalisation de cet album ? Comment et pourquoi les avez-vous choisi ?
RO : C’est vrai qu’il y en a beaucoup mais cela répond à une démarche. Ce n’est pas GKS, ce n’est pas non plus Lanbéli, l’on pourrait appeler cela « tout GKS » pourquoi pas ? C’est comme je l’ai dit plus haut, le début de la mise en place ou du renforcement du dénominateur commun. Je les ai choisis par affinité, il en manque d’autres mais…
Fernand Gabriel qui a été mon professeur de batterie pendant trois ans. Gilbert Coco, il était là au moment où les choses ont démarré début des années 70. Pointe-à-Pitre dans le gwoka. Jean Marie Lurel, Jean Claude Descieux, Eddy Latour, Olivier Vamur, Michel Sylvestre, Gérard Foggéa, François Ladrezeau, Aldo Middleton, Klòd Kiavué, Aurel Thams, JM Samba, Sonny Troupé, Harry Baltus, Ramon Pyrmée, Jean Michel Lesdel, Luther François, Yvan Juraver, Nathalee Jeanlys, Lucien Troupé, Félix Francfort, Kolémaya, Jean Claude Calabre, Daniel Hippon, Joël Nankin… Pour les choristes Eric Dalphrase, Alfred Ventou-Dumaine, Coretta Moueza, Brigitte Blonbou, Francelyse Bagassien, France Séremes…
KF : Votre rencontre avec Nathalee Jeanlys ? On ne la connaissait pas dans le registre gwoka…
RO : J’ai rencontré Nathalee de la part de Harry Baltus que j’ai connu sur le stage “Musique et Santé à l ‘hôpital / suivi d’intervention” au CHU et à l’hôpital de Marie Galante… elle s’intéresse à la musique gwoka, le chanteur attiré du Gwakasonné n’est pas très disponible, je suis en train de préparer l’album. Bref, concours de circonstance, le plus simplement du monde.
KF : Travailler avec un producteur, c’est une première pour vous ?
RO : Contrairement aux albums du GKS, c’est la première fois que je travaille avec un producteur. Olivier Mathurin, c’est quelqu’un envers lequel j’avais une « dette », un rendez-vous raté qui remonte à au moins 18 ans, j’espère m’être bien rattrapé et cela dit tout s’est bien passé nous n’avons pas eu à ne pas nous comprendre et le résultat est là.
KF : Vos projets ?
RO : Chose curieuse vous m’avez posé 13 questions et il y a trois jours, alors que je faisais l’inventaire du travail que j’effectue, j’ai remarqué que je menais de front 13 “chantiers artistiques personnels et authentiquement guadeloupéens” dans des domaines différents. Pour avoir une idée GKS est un des chantiers et il n’est pas le plus important. Cela dit au cours des 30 dernières années, j’ai amassé beaucoup de matière. Je pense avec l’accord du plus grand pouvoir faire fructifier tout cela. J’ai l’impression que le moment est venu. « NI APRÈS, NI AVANT L’HEURE N’EST L’HEURE ». De façon amusante, en 1981 GKS avait été contacté pour le Festival d’Angoulême. Nous avions refusé à l’époque et avions passé le témoin à Kafé. En 2009, GKS aura 30 ans, cela me donne une idée… à suivre. Je reprendrais très probablement au cours du spectacle à venir ; suite à cet album, le concept initié au Centre des Arts en 1980 avec le GKS : musique, peinture, chorégraphie, sketch, poésie, projection video…
Entretien réalisé en décembre 2007
Kareen Fleming